MISSION EURASIENNE

MISSION EURASIENNE

PROJET POUR UN MOUVEMENT INTERNATIONAL EURASIEN

Textes du Programme

Textes du Programme de la “Mission Eurasienne” – Mouvement International Eurasien – Moscou 2004
Tous les textes de ce programme ont été rédigés par le président

du Mouvement Social International “Mouvement Eurasien”, A. Dugin 

Sommaire

1. Le Centre Eurasien (manifeste du Centre Eurasien (Mouvement International Eurasien)

Le dialogue culturel eurasien – base de l’histoire humaine

L’Est et l’Ouest se complètent mutuellement

Globalisation – un défi pour les nations et les civilisations du continent eurasien

«Le Mouvement eurasien » propose un dialogue multilatéral équitable pour tous ceux qui sont concernés par le « creuset babylonien » et la « nouvelle xénophobie »

L’Eurasie comme mère patrie

 

2. L’idée eurasienne (qu’est-ce que l’idée eurasienne aujourd’hui ? Qu’est-ce qui forme le concept d’Eurasie ?)

Évolution de la notion

   Le concept eurasien a évolué depuis sa signification originale

   Eurasianisme comme combat philosophique

Vers un néo-eurasianisme

 

          Eurasianisme comme tendance globale

Globalisation – corps principal de l’histoire moderne

Le paradigme de la globalisation – le paradigme de l’Atlantisme

Globalisation unipolaire comme alternative

L’eurasianisme comme pluralité

L’atlantisme n’est pas universel

L’idée eurasienne promeut un projet global révolutionnaire

 

L’eurasianisme en tant qu’Ancien Monde (continent)

Le Nouveau Monde, partie de l’Ancien Monde

Le Nouveau Monde comme Messie

L’intégration du continent eurasien

 

L’Eurasie et ses trois grands espaces, intégrés autour du Méridien

Les trois ceintures eurasiennes (zones du Méridien). Les “grands espaces”

L’importance de la “quatrième zone”

 

L’eurasianisme comme intégration russe en Asie 

L’axe Moscou-Téhéran

Le plan eurasien pour l’Afghanistan et le Pakistan

L’axe Delhi-Moscou

Moscou-Ankara

Le Caucase

Le plan eurasien pour l’Asie centrale

 

L’intégration eurasienne des territoires post-soviétiques

L’Union eurasienne

Astana, Doshanbe et Bichkek comme force principale d’intégration

Tachkent et Askhabad

Les Etats Transcaucasiens

Ukraine et Biélorussie – Les pays slaves de la CEI (Nations indépendantes de la Fédération de Russie)

 

L’eurasianisme comme vision du monde

Philosophie originale de l’eurasianisme

L’eurasianisme comme philosophie ouverte

            Les composantes de l’eurasianisme

 

3. La vision eurasienne

(I)

 

L’air du temps

La vision eurasienne pour le monde futur

La vision eurasienne de l’évolution de l’Etat

Le principe eurasien de la division des pouvoirs

            La vision eurasienne de l’économie

La vision eurasienne des finances

L’attitude eurasienne à l’égard des religions

La vision eurasienne de la question nationale

L’Eurasie comme planète

 

 

(II)

 

Structure du Mouvement International Eurasien

Le Mouvement eurasien et le projet eurasien de ceinture continentale

La ceinture américaine

La ceinture eurafricaine

La ceinture pacifique

Vers une Union eurasienne grâce à un processus eurasien

(Expérience politique et structures de coordination)

 

 

4. Autonomie comme principe de base du concept de l’Etat eurasien

Souveraineté ou autonomie ?

Les paramètres de l’autonomie

Les types d’autonomies:

Nationale

Ethnique

Théocratique

Religieux (sacré)

Culturel-historique

Social-industriel

Autonomie économique

Linguistique-communautaire

Autonomie et centre fédéral

Autonomie et droit du sol

Autonomie et mégapoles

Autonomie et zones de conflit

 

5. Appendice. Étapes de l’eurasianisme

LE CENTRE EURASIEN

(Programme du Mouvement International Eurasien)

Le dialogue culturel eurasien – base de l’histoire humaine

 

Le continent eurasien est le berceau de la culture et de la civilisation humaines.

Le continent eurasien a donné naissance à différentes formes sociales, spirituelles et politiques qui constituent la base de l’histoire humaine. L’Eurasie est bipolaire : elle est formée de l’Europe et de l’Asie, de l’Ouest et de l’Est. L’histoire humaine est faite du dialogue qui s’est instauré dans le cours des siècles, de l’énergie dialectique et de l’échange des valeurs et de la technologie entre ces deux pôles pendant plus de mille ans.

 

L’Est et l’Ouest se complètent mutuellement

 

L’Eurasie a été traversée d’Ouest en Est et vice-versa par de nombreuses nations et civilisations. Les ancêtres de l’Europe moderne traversaient les déserts asiatiques à l’époque où la Chine, l’Inde et la Perse fleurissaient grâce à une philosophie et une technologie avancées ainsi que dans des modes de vie élevés.

 

Chaque culture a son développement historique propre, différent pour chacune.

 

Ce que nous qualifions “d’absurde” aujourd’hui pourrait être compris comme “progressiste” demain. De la même manière qu’il peut avoir de la valeur, dès aujourd’hui, pour d’autres personnes. Ce que nous considérons comme un truisme absolu pourrait être un véritable culte pour d’autres nations. Il n’y a aucune façon d’idéaliser les événements actuels, étant donné que le monde et par conséquent ses valeurs, changent. Nous devons toujours vérifier nos jugements avec, en tête, l’Histoire du monde. L’Eurasie est un critère essentiel de notre jugement. Nous devons étudier le mode de pensée de l’Eurasie pour comprendre l’Ouest et l’Est, le progrès et la tradition, la stabilité et la flexibilité ainsi que les religions dans le passé et le futur.

 

 

La globalisation est un défi pour les nations et les civilisations du continent eurasien.

 

Aujourd’hui, dans le processus de globalisation, le dialogue entre les civilisations est plus important que jamais auparavant. La globalisation vient de l’Ouest, mais l’influence de l’Est. Ce processus est très complexe et contradictoire et soulève des questions (parfois de plus en plus dramatiques). L’Eurasie – en tant que lieu essentiel de ce processus historique – souffre spécialement de difficultés parce qu’il a été un lieu de passage entre les grandes civilisations.

 

Comme jamais jusqu’ici, nous devons comprendre la logique des processus historiques. Chaque jour, nos prises de décision influent sur le futur de nos enfants. Il est évident qu’aucune nation, qu’aucune religion traditionnelle, aucune classe sociale ou même aucune civilisation ne peut résoudre, seule de son côté, tous ces problèmes. Nous devons nous écouter les uns les autres : l’Europe et l’Asie, les Chrétiens et les Musulmans, les peuples blancs et les peuples noirs, les citoyens des Etats démocratiques et des nations traditionnelles. La clef de cette compréhension mutuelle correcte, qui ne tire pas de conclusions hâtives, est tolérante et respecte ceux qui ont des systèmes de valeurs différents.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le mouvement eurasien propose un dialogue multilatéral à tous ceux qui sont concernés.

 

Le Mouvement international eurasien est constitué dans le but de créer un dialogue entre les civilisations, les confessions, les nations et les groupes sociaux plus ou moins importants de notre continent.

 

Le mouvement eurasien est ouvert au dialogue sur tous les sujets de Tokyo aux Açores et choisit de ne dicter à personne les réponses. Nous avons aujourd’hui davantage de questions que de réponses.

 

Nous faisons appel à ceux qui se sentent responsables de l’Eurasie, pour son évolution historique depuis son passé jusqu’à son avenir, qui souhaitent joindre leurs efforts pour créer un futur pour les nations de notre continent. Nous sommes convaincus que notre but est de sauver le caractère unique des nations, cultures, confessions, langues, valeurs et systèmes philosophiques qui, dans leur ensemble, forment la “complexité florissante” (K. Leontiev) de notre continent. La création de l’Eurasie ne veut pas dire la perte pour chacun de son identité, qui est la valeur la plus importante de notre point de vue. Nous nous élevons fermement contre la globalisation en tant que forme idéologique, économique et politique de l’impérialisme : personne n’a le droit d’imposer sa “vérité”, son système de valeurs et son modèle sociopolitique aux grandes nations de l’Eurasie. Des notions telles que l’individu, la liberté, la vie, l’autorité, la loi, la société, la politique etc, varient grandement dans des contextes différents de culture, de langue et de civilisations.
 

Les nations d’Eurasie doivent être libres et indépendantes. À l’Ouest et à l’Est, chaque confession et culture a sa propre vérité et nous pouvons partager ces vérités entre nous tous, mais nous ne devons jamais rien imposer.

 

Contre le “creuset babylonien” et la “nouvelle xénophobie”.

 

Les avancées dans les sciences et la technologie nous ont rapprochés les uns des autres. Cependant, dans le même temps sont apparues des menaces à propos du “choc des civilisations”, de nouvelles vagues de terrorisme et des guerres meurtrières.

Comment pouvons-nous sauver nos identités propres et éviter les conflits ? Nous cherchons une réponse à cette question au travers de la constitution du Mouvement International Eurasien.



 

L’Eurasie comme terre natale

 

Le continent eurasien n’est pas petit et il n’est pas grand non plus. Il est suffisant. Il est moins grand que la planète tout entière mais beaucoup plus grand qu’aucune zone nationale, culturelle ou religieuse prise séparément. Nous avons pour objectif d’augmenter la richesse de toutes les nations du continent eurasien par la création du Centre eurasien.

Nous nous efforçons vers un objectif majeur, mais nous sommes suffisamment forts pour y parvenir, avec le trésor de la pensée humaine, les lignes de force de la pensée spirituelle, la propriété économique, les systèmes économiques divers, des langues uniques, etc…

L’Eurasie est un ensemble essentiel qui fut créé par nos ancêtres, il y a plusieurs milliers d’années en Europe et en Asie. L’Eurasie est notre terre natale et si nous la respectons et l’aimons, nous avons beaucoup à y gagner. L’Eurasie nous donne de la puissance, mais a besoin de notre soutien et que nous la défendions. Le Mouvement international eurasien veut être la pulsation de cette entreprise.

 

L’IDEE EURASIENNE

Qu’est-ce que l’eurasianisme aujourd’hui ? Qu’est-ce qui forme le concept d’Eurasie ? Les sept significations du mot “eurasianisme”.

L’évolution de la notion d’eurasianisme.

 

Les changements intervenus depuis la signification première de l’eurasianisme.

 

Différents termes ont perdu leur signification première au cours de leur utilisation quotidienne, s’échelonnant sur bien des années. Des notions fondamentales comme le socialisme, le capitalisme, la démocratie ont changé, profondément. En fait, elles sont devenues banales.

 

Les termes d’”eurasianisme” et d’”Eurasie” sont entourés d’une certaine imprécision parce qu’ils sont neufs, appartenant à un nouveau langage politique et intellectuel qui est toujours en cours de création à notre époque.

 

L’idée eurasienne reflète un processus très actif et dynamique. Sa signification est devenue plus claire au travers de l’Histoire, mais nécessite d’être développée plus avant.

 

L’Eurasianisme comme combat philosophique

 

L’idée d’Eurasie représente une révision fondamentale de l’histoire politique, idéologique, ethnique et religieuse de l’humanité et elle offre un nouveau système de classification et de catégories qui dépassera les clichés communs. La théorie eurasienne est passée à travers deux étapes – une période de formation de l’eurasianisme classique au début du XXe siècle chez des intellectuels russes immigrés (Troubetzkoy, Qsavickiy, Alexkseev, Suvchinckiy, Iliin, Bromberg, Hara-Davan etc.), suivie par les travaux historiques de Léonid Gumilev et, pour finir, la constitution du nouvel eurasianisme (deuxième moitié des années 1980 jusqu’à nos jours).

 

Vers le nouvel eurasianisme

 

La théorie eurasienne classique appartient sans aucun doute au passé et peut être classé de manière correcte à l’intérieur de la structure des idéologies du XXe siècle. L’eurasianisme classique aurait pu disparaître, mais le nouvel eurasianisme lui a apporté une seconde naissance, une nouvelle signification et une nouvelle dimension. Lorsque l’idée eurasienne revint sur le devant de la scène intellectuelle, cela devint moins évident, mais depuis la réconcilliation entre anciens et modernes s’est opérée.

À travers le nouvel eurasianisme, la théorie eurasienne tout entière reçoit une nouvelle dimension. Aujourd’hui, nous ne pouvons ignorer l’époque historique du nouvel eurasianisme et nous devons tâcher de le comprendre dans son contexte moderne. Nous allons décrire les aspects variés de cette notion.

 

L’Eurasianisme comme tendance globale

 

 

La globalisation comme corps principal de l’histoire moderne.

 

Dans son sens large, l’idée eurasienne, et même le concept d’Eurasie, ne correspondent pas strictement aux frontières géographiques du continent eurasien. L’idée eurasienne est une stratégie à l’échelle globale qui prend en compte l’objectivité de la globalisation et la fin des “Etats-nations”, mais en même temps, elle offre une alternative à la globalisation, alternative qui ne comporte pas de monde unipolaire ou de gouvernement global unifié. À la place, il propose plusieurs pôles globaux. L’idée eurasienne est une alternative, une version multipolaire de la globalisation, mais celle-ci est aujourd’hui le principe fondamental d’un processus mondial qui décide des vecteurs principaux de l’Histoire moderne.

 

 

Le paradigme de la globalisation - paradigme de l’Atlantisme

 

 

L’Etat-nation actuel est changé en Etat global ; nous nous trouvons en face de la constitution de systèmes de gouvernement planétaires à l’intérieur d’un unique système administratif et économique. Croire que toutes les nations, classes sociales et modèles économiques peuvent commencer à coopérer tout d’un coup, sur la base de cette nouvelle logique à l’échelle de la planète, est dangereux. La globalisation est un phénomène unidimensionnel, avec un seul vecteur, qui tente d’universaliser le point de vue occidental (anglo-saxon, américain) concernant la manière de faire fonctionner l’histoire humaine. C’est (très souvent connectée avec la répression et la violence) l’unification de différentes structures sociopolitiques, ethniques, religieuses, en un seul système. C’est la tendance historique de l’Europe occidentale qui a atteint son maximum du fait de sa domination par les Etats-Unis d’Amérique.

 

La globalisation impose le paradigme atlantiste. La globalisation comme atlantisme tente d’échapper à cette définition. Les tenants de la globalisation argumentent le fait que, lorsqu’il n’y aura plus d’alternative à l’atlantisme, celui-ci cessera d’être l’atlantisme. Le philosophe et politicien américain Francis Fukuyama a écrit au sujet de la « fin de l’histoire » — ce qui signifie en fait la fin de l’histoire géopolitique et celle du conflit entre atlantisme et eurasianisme. Cela signifie une nouvelle architecture du système mondial, sans opposition et tournant autour d’un pôle unique — celui de l’atlantisme. Nous pouvons aussi parler ici de Nouvel Ordre Mondial. Le modèle d’opposition entre deux pôles (Est-Ouest ; Nord-Sud) se transforme en modèle centre-circonférence (Centre-Ouest — « Nord riche » d’une part et circonférence-sud). Cette variante de l’architecture mondiale est en complet désaccord avec l’eurasianisme.

           La globalisation unipolaire comme alternative

 

Aujourd’hui, le Nouvel Ordre Mondial n’est rien de plus qu’un projet, un plan ou une tendance. C’est une hypothèse très sérieuse, mais elle n’est pas fatale. Les tenants de la globalisation nient qu’il puisse exister un plan alternatif pour le futur, mais aujourd’hui, nous faisons l’expérience d’un phénomène à grande échelle – la contre globalisation (alter mondialisation) et l’idée eurasienne rassemble tous les opposants à cette globalisation unipolaire d’une manière constructive. De plus, cette alternative propose l’idée très intéressante d’une globalisation multipolaire (ou contre globalisation).

 

L’eurasianisme comme pluralité

 

L’eurasianisme rejette le modèle centre-circonférence du monde. À sa place, l’idée eurasienne suggère que la planète consiste en une constellation d’espaces de vie autonomes, partiellement ouverts les uns aux autres. Ces espaces ne sont pas des Etats-nations, mais une coalition d’Etats, réorganisée en fédérations continentales ou « empires démocratiques » avec un degré important de gouvernements particuliers à chaque Etat. Chacune de ces zones est multipolaire, comportant un système compliqué de facteurs ethniques, culturels, religieux et administratifs.

 

Dans ce sens global, l’eurasianisme est ouvert à chacun, quel que soit son lieu de naissance, de résidence, sa nationalité ou son appartenance à une communauté. L’eurasianisme propose la possibilité de choisir un avenir différent du cliché qu’est l’atlantisme et d’un seul système de valeurs pour l’humanité tout entière. L’eurasianisme ne cherche pas seulement à retrouver le passé ou à préserver un statu quo, mais s’efforce vers un avenir, avec la conviction que la structure actuelle du monde demande un changement radical, que les Etats-nations et la société industrielle ont épuisé toutes leurs ressources. L'idée eurasienne ne conçoit pas la création d’un gouvernement mondial, sur la base des valeurs libéro-démocratiques, comme la voie unique pour l’humanité. Dans ce sens le plus primaire, l’eurasianisme du XXIe siècle est défini comme l’adhésion à une idée d’alter mondialisation, synonyme d’un monde multipolaire.

L’atlantisme n’est pas universel

 

L’eurasianisme rejette absolument l’universalisme de l’atlantisme et de l’américanisme. Le modèle de l’Europe occidentale et de l’Amérique a bien des aspects attirants qui peuvent être adoptés ou loués, mais — dans l’ensemble — il s’agit seulement d’un système culturel qui a le droit d’exister dans son contexte historique propre, de la même manière qu’ont le droit d’exister d’autres civilisations et systèmes culturels.

 

L’idée eurasienne protège non seulement les systèmes de valeurs anti-atlantistes, mais la diversité des structures de valeur. C’est une forme de « pluralité » qui propose un espace de vie pour chacun, y compris les Etats-Unis d’Amérique, et les autres civilisations, car l’eurasianisme défend également les civilisations d’Afrique, les deux continents américains et la zone pacifique.

 

L’idée eurasienne promeut une idée révolutionnaire globale

 

L’idée eurasienne sur une échelle globale est un concept global révolutionnaire, que l’on utilise pour former la nouvelle plateforme d’une compréhension mutuelle et d’une coopération pour un vaste conglomérat de puissances diverses : Etats, nations, cultures et religions qui rejettent la version atlantique de la mondialisation.

 

Si nous analysons les déclarations et prises de parole de nombreux politiciens, philosophes et intellectuels, nous verrons que dans leur majorité, ils adhèrent (parfois sans le savoir) à l’idée eurasienne.

 

Si nous voulons bien penser à tous ceux qui sont en désaccord avec l’idée d’une « fin de l’histoire », nous serons dans un état d’esprit plus agréable et l’échec du concept américain d’une stratégie de sécurité pour le XXIe siècle, en relation avec la constitution d’un monde unipolaire, sera beaucoup plus réaliste.

 

L’eurasianisme est la somme d’obstacles naturels, artificiels, objectifs et subjectifs, sur le chemin de la mondialisation unipolaire. Elle propose une opposition constructive et positive au globalisme, au lieu d’une simple négation.

 

Ces combats, cependant, demeurent non-coordonnés et les tenants de l’atlantisme sont en mesure de les gérer facilement. Pourtant, si ces obstacles peuvent, d’une façon ou d’une autre, être intégrés dans une force unique, ils pourront être englobés dans une unité, avec la vraisemblance d’une réusite devenant de plus en plus sérieuse.

 

L’eurasianisme conçu comme l’Ancien Monde (continent)

 

Le Nouveau Monde fait partie du deuxième Ancien Monde — dans le sens plus spécifique et plus étroit du mot eurasianisme, applicable à ce que nous appelons l’Ancien Monde. La notion d’Ancien Monde (traditionnellement associée à l’Europe), peut être considérée dans un contexte nettement plus large. C’est un super-espace aux civilisations multiples, peuplé de nations, d’Etats, de cultures, d’ethnies et de religions, liés les uns aux autres, historiquement et géographiquement, par une destinée dialectique. L’Ancien Monde est un produit organique de l’Histoire humaine.

 

L’Ancien Monde est souvent opposé au Nouveau Monde, le continent américain découvert par les Européens et transformé en plateforme d’une civilisation artificielle où les projets européens du modernisme furent créés. Il fut construit sur des idéologies humaines comme une civilisation purifiée du modernisme.

 

Les Etats-Unis d’Amérique furent la création réussie de la « société parfaite », conçue par des intellectuels d’Angleterre, d’Irlande et de France, cependant que les pays de l’Amérique centrale et du sud demeuraient les colonies de l’Ancien Monde. L’Allemagne et l’Europe de l’Est furent moins influencées par cette idée d’une « société parfaite ».

 

Selon les termes d’Oswald Spengler, le dualisme entre Ancien et Nouveau Mondes peut être ramené à des oppositions : culture-civilisation, organique-artificiel, historique-technique.

 

Le Nouveau Monde considéré comme Messie

 

En tant que produit de l’histoire de l’Europe occidentale tout au cours de son évolution, le Nouveau Monde a précocement réalisé sa destinée messianique, lorsque les idéaux de la démocratie libérale des Lumières furent combinés avec les idées eschatologiques des sectes protestantes radicales. Les Lumières furent appelées « théorie de la Destinée manifeste », qui devint le nouveau symbole de la croyance pour des générations d’Américains. Selon cette théorie, la civilisation américaine dépasse toutes les cultures et civilisations  de l’Ancien Monde et, dans sa forme universelle actuelle, la rejoindre devient une obligation pour toutes les nations de la planète.

           

Avec le temps, cette théorie entra en conflit non seulement avec les cultures de l’Est et d’Asie, mais s’opposa à celles d’Europe, qui paraissaient aux Américains archaïques et remplies de préjugés et de traditions antiques.

 

À son tour, le Nouveau Monde se détourna de l’héritage de l’Ancien Monde. Immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, le Nouveau Monde devint le chef incontesté en Europe même, appliquant le « critère de vérité » d’autres nations. Ceci fut à la source d’une vague correspondante de domination américaine et, dans le même temps, le début d’un mouvement à la recherche d’une libération géopolitique, trans-océanique, stratégique, économique et politique du « grand frère ».

 

L’intégration du continent eurasien

 

Durant le XXe siècle, l’Europe prit conscience de son identité commune et, pas à pas, commença à avancer vers l’intégration de toutes les nations qui la composent dans une Union commune, capable de garantir une souveraineté, une sécurité totale, ainsi que la liberté pour elle-même et tous ses membres.

 

La création de l’Union européenne devint l’événement le plus important qui favorisa le rétablissement de l’Europe dans son statut de puissance mondiale, aux côtés des Etats-Unis d’Amérique. Telle fut la réponse de l’Ancien Monde au défi excessif du Nouveau Monde.

 

 

Si nous considérons l’alliance des Etats-Unis d’Amérique et de l’Europe occidentale comme le vecteur atlantique du développement européen, l’intégration européenne sous les auspices de pays européens (France, Allemagne), on peut la qualifier d’eurasianisme européen. Cela devient de plus en plus évident si l’on prend en considération la théorie de l’Europe depuis l’Océan atlantique jusqu’à l’Oural (Charles De Gaulle), voire Vladivostok. En d’autres termes, l’intégration de l’Ancien Monde inclut le vaste territoire russe.

 

Ainsi, l’eurasianisme dans ce contexte peut être défini comme un projet de l’intégration stratégique, géopolitique et économique du Nord du continent eurasien, considéré comme le berceau de l’Histoire européenne et la matrice des nations européennes.

 

Parallèlement à la Turquie, la Russie (également ancêtre des Européens) est historiquement liée aux nations turques, mongoliennes et caucasiennes. La Russie donne à l’intégration de l’Europe une dimension eurasienne dans les deux applications symboliques et géographiques (identification de l’eurasianisme avec le continentalisme).

 

Durant les derniers siècles, l’idée de l’intégration européenne a été proposée par la faction révolutionnaire des élites européennes. Dans des temps plus reculés, des tentatives similaires furent entreprises par Alexandre le Grand (intégration du continent eurasien) et Gengis Khan (fondateur du plus grand empire de tous les temps). L’Eurasie comporte trois grands espaces de vie, intégrés autour du méridien.

 

Les trois ceintures eurasiennes (zones des méridiens)

 

Le vecteur horizontal de l’intégration est suivi par un vecteur vertical. Les plans eurasiens pour l’avenir sous-entendent la division de la planète selon quatre ceintures géographiquement verticales (les zones des méridiens) du nord au sud.

 

Les deux continents américains formeraient un espace commun orienté vers et contrôlé par les Etats-Unis d’Amérique, à l’intérieur de la structure de la doctrine de Monroe. C’est la zone atlantique.

 

En plus de la zone décrite ci-dessus, trois autres zones sont planifiées, à savoir :

 

 

·      L’Eurafrique, avec en son centre, l’Union européenne;

·      La zone d’Asie centrale et de la Russie;

·      La zone pacifique.

 

À l’intérieur de ces zones, la division régionale du travail et la création d’espaces de création et de corridors de croissance prendront place.

 

Chacune de ces ceintures (ou  zones de méridiens) s’équilibre les unes avec les autres et, prises ensemble, contrebalancent la zone du méridien atlantique. Dans le futur, ces ceintures pourraient bien être la fondation sur laquelle bâtir un monde multipolaire. Le nombre de pôles sera supérieur à deux, certes, mais leur nombre sera de beaucoup inférieur au nombre actuel d’Etats-nations. Le modèle eurasien propose que le nombre de pôles soit de quatre.

Les Grands espaces

 

Les zones des méridiens dans le projet eurasien consistent en plusieurs « Grands espaces » ou « empires démocratiques ». Chacun y possède une liberté relative ainsi qu’une indépendance, mais est intégré de façon stratégique dans sa zone de méridien particulière.

 

Les Grands espaces correspondent aux frontières des civilisations et incluent plusieurs Etats-nations ou unions d’Etats.

 

L’Union européenne et le Grand espace arabe, qui intègre le Nord de l’Afrique et la partie trans-saharienne, de même que le Moyen-Orient, forment l’Eurafrique.

 

La zone Russie-Asie centrale est formée par trois Grands espaces qui, parfois, se chevauchent. La première est la Fédération de Russie, avec plusieurs pays de la CEI (Communauté des Etats Indépendants) — membres de l’Union eurasienne. La seconde est le Grand espace de l’Islam continental (Turquie, Iran, Afghanistan, Pakistan). Les pays asiatiques de la CEI empiètent sur cette zone.

 

Le troisième Grand espace est l’Hindoustan, qui est un secteur de civilisation autonome.

 

La zone du méridien pacifique est déterminée par un condominium de deux Grands espaces (Chine et Japon) et comprend également l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines et l’Australie (quelques chercheurs l’assimilant à la zone du méridien américain). Cette région géopolitique est une véritable mosaïque et peut être différencié par de nombreux critères.

 

La zone du méridien américain comprend les Grands espaces du Canada américain, l’Amérique du Nord et Centrale.

 

 

L’importance de la quatrième zone

 

La structure du monde fondée sur les zones des méridiens est acceptée par la plupart des géopoliticiens américains qui cherchent la création d’un Nouvel Ordre Mondial et une globalisation unipolaire. Cependant, la pierre d’achoppement est l’existence de l’espace méridien Russie-Asie Centrale. La présence ou l’absence de cette ceinture change radicalement le dessin géopolitique du monde.

Les « futurologues » atlantistes séparent le monde en trois zones, à savoir :

 

- Un pôle américain, avec l’Union européenne dans sa périphérie immédiate (excluant l’Eurafrique)

 

- Les régions d’Asie et du Pacifique dans sa périphérie lointaine.

 

 - La Russie et l’Asie centrale sont fractionnables, mais hors du pôle américain, et en tant que zone méridienne indépendante notre monde étant ainsi unipolaire.

 

Cette dernière zone du méridien contrebalance la pression américaine et donne aux zones européennes et du Pacifique la possibilité d’agir en tant que zones de civilisations autonomes.

 

Un véritable équilibre multipolaire, la liberté et l’indépendance des ceintures des méridiens, les Grands espaces et les Etats-nations dépendent du succès de la création d’une quatrième zone. De plus, il n’est pas suffisant de représenter un seul pôle dans un modèle bipolaire du monde. Le progrès rapide des Etats-Unis d’Amérique peut seulement être contrebalancé par la synergie des trois zones méridiennes.

 

Le projet eurasien propose ce projet des quatre zones à un niveau stratégiquement géopolitique.

 

L’eurasianisme comme intégration de la Russie et de l’Asie centrale

 

 

L’axe Moscou-Téhéran

 

La quatrième zone des méridiens est donc l’intégration de la Russie et  de l’Asie. Le point le plus important de ce processus est la mise en place de l’axe Moscou-Téhéran. Le processus tout entier de l’intégration dépend de l’établissement réussi d’un partenariat à moyen et long termes avec l’Iran. L’économie, l’administration militaire et la puissance politique de l’Iran et de la Russie favoriseront le processus d’intégration de la zone, la rendant irréversible et autonome.

 

L’axe Moscou-Téhéran sera une base pour une intégration plus poussée. Moscou comme Téhéran sont toutes les deux des puissances autonomes, capables de créer leur propre modèle d’organisation stratégique dans la région.

 

Le plan eurasien pour l’Afghanistan et le Pakistan

 

Le vecteur d’intégration avec l’Iran est d’une importance vitale pour la Russie qui souhaite obtenir l’accès à des ports d’eau tempérée, mais également pour la réorganisation politico-religieuse de l’Asie centrale (les pays asiatiques de la CEI, l’Afghanistan et le Pakistan). Une coopération rapprochée avec l’Iran suppose la transformation de la région afghano-pakistanaise en une confédération islamique libre, loyale aussi bien envers Moscou qu’envers Téhéran. La raison de cette nécessité est que les Etats indépendants de l’Afghanistan et du Pakistan seront une source de déstabilisation perpétuelle, menaçant les pays voisins. Le conflit géopolitique  permet la possibilité d’une implantation d’une fédération nouvelle d’Asie centrale, transformant cette région compliquée en une zone de coopération et de prospérité.

 

L’axe Moscou-Delhi

 

La coopération russo-indienne est l’axe n°2 de l’intégration dans le continent eurasien et les systèmes de sécurité collective en Eurasie. Moscou jouera un rôle important, atténuant la tension entre Delhi et Islamabad (Cachemire). Le plan eurasien pour l’Inde, soutenu par Moscou, est la création  d’une fédération qui rendra une image fidèle de la diversité de la société hindoue, avec ses nombreuses minorités, incluant les Sikhs et les Musulmans.

 

L’axe Moscou-Ankara

 

Le partenaire principal dans le processus de l’intégration en Asie centrale est la Turquie. L’idée eurasienne est en passe de devenir vraiment populaire là-bas, en raison des tendances occidentales qui sont entrelacées avec les tendances orientales. La Turquie reconnaît les différences de sa civilisation et de celle de l’Union européenne, ses buts et intérêts régionaux, la menace que représentent la globalisation et une possible perte supplémentaire de souveraineté.

 

Il est d’une importance stratégique pour la Turquie d’établir un partenariat avec la Fédération de Russie et l’Iran. La Turquie sera capable de maintenir ses traditions seulement si elle reste dans la structure d’un monde multipolaire. Certains cercles de la société turque comprennent cette situation – depuis les politiciens et les socialistes jusqu’aux élites militaires et religieuses. Ainsi, un axe Moscou-Ankara peut devenir une réalité géopolitique malgré un éloignement réciproque d’une longue durée.

 

Le Caucase

 

Le Caucase est la région la plus problématique dans l’intégration eurasienne parce que la mosaïque de cultures et d’ethnies qui le compose conduit facilement à des tensions entre les nations. C’est l’une des armes les plus importantes utilisées par ceux qui cherchent à arrêter le processus d’intégration d’un bout à l’autre du continent eurasien. La région du Caucase est peuplée de nations qui appartiennent à différents Etats et différentes zones de civilisation. Cette région pourrait être un polygone pour tester différentes méthodes de coopération entre peuples, car ce qui peut y réussir peut réussir à travers tout le continent eurasien. La solution eurasienne à cette question ne se situe pas dans la création d’Etats fondés sur les ethnies ou en attribuant une nation strictement à un Etat, mais dans le développement d’une fédération flexible, sur la base des différences ethniques et culturelles, à l’intérieur du contexte stratégique de la zone du méridien.

 

Le résultat de ce plan est un système de demi-axes entre Moscou et les centres du Caucase (Moscou-Bakou, Moscou-Erevan, Moscou-Tbilissi, Moscou-Mahachkala, Moscou-Grozny etc) et entre les centres du Caucase et les alliés des Russes.

 

Le plan eurasien pour l’Asie centrale

 

L’Asie centrale doit progresser vers l’intégration dans un bloc uni, stratégiquement et économiquement, avec la Russie, à l’intérieur de l’Union eurasienne, le successeur de la CEI. La fonction principale de cette zone particulière est le rapprochement de la Russie avec les pays de l’Islam continental (Iran, Pakistan, Afghanistan).

 

Depuis les tout débuts, le secteur de l’Asie centrale a de nombreux vecteurs d’intégration. Un projet fera de la Russie le partenaire principal (similarités de cultures, d’intérêts économiques et énergétiques, un système commun de sécurité stratégique). L’alternative serait de placer l’accent sur les ressemblances ethniques et religieuses (turques, iraniennes et monde islamique).

 

L’intégration eurasienne des territoires post-soviétiques

 

L’Union eurasienne

 

Une signification plus précise de l’eurasianisme, partiellement similaire à la définition donnée par les intellectuels eurasiens dans les années 20-30 du XXe siècle est liée au processus de l’intégration locale des territoires post-soviétiques.

 

Différentes formes d’intégration peuvent être relevées dans l’histoire : depuis les Huns et les empires nomades (Mongol, Turc et Indo-européen) jusqu’à l’empire de Gengis Khan et ses successeurs. Une intégration plus récente fut tentée par l’empire russe des Romanov et, plus tard, par l’URSS. Aujourd’hui, l’Union eurasienne perpétue ces traditions d’intégration au travers d’un modèle idéologique unique qui prend en considération des procédures démocratiques ; le respect des droits des nations. Elle fait attention aux traits culturels, linguistiques et ethniques de chacun des membres de l’Union.

 

L’eurasianisme est la philosophie de l’intégration des territoires anciennement soviétiques sur une base démocratique, non-violente et volontaire, sans la domination d’aucun groupe religieux ou ethnique.

 

 

Astana, Doshanbe et Bichkek comme forces principales de l’intégration

 

Différentes républiques asiatiques de la CEI traitent ce processus d’intégration post-soviétique de façon diverse. L’adhésion la plus active à l’intégration vient du Kazakhstan. Le président de ce pays, Noursultan Nazarbayev est un partisan farouche de l’idée eurasienne. La Kirghizie et le Tadjikistan soutiennent de la même façon le processus d’intégration, bien que leur soutien soit moins tangible que celui du Kazakhstan.

 

Tachkent et Ashakbad

 

L’Ouzbékistan et particulièrement le Turkménistan s’opposent au processus d’intégration, essayant de s’assurer du maximum de résultats positifs de leur souveraineté récemment acquise. Cependant, très prochainement, ces deux Etats se trouveront en face d’un dilemme en raison du progrès rapide de la globalisation : perdre leur souveraineté et se fondre dans un monde global unifié, sous la domination des valeurs libérales américaines ou bien préserver leur identité culturelle et religieuse dans le contexte de l’Union eurasienne. À notre avis, une comparaison non-biaisée entre ces deux options devrait conduire à la seconde hypothèse, qui suit naturellement ces deux pays et leur Histoire.

 

Les Etats trans-caucasiens

 

L’Arménie continue de graviter en direction de l’Union eurasienne et considère la Fédération de Russie comme un soutien essentiel et un conciliateur qui l’aide dans ses relations avec les pays voisins musulmans. Il est évident que Téhéran préfère établir un partenariat avec les Arméniens qui sont ethniquement proches d’elle. Ce fait nous permet de prendre en considération des demi-axes : Moscou-Erevan et Erevan-Téhéran – comme des pré-requis positifs d’une intégration.

 

Bakou demeure neutre, mais cette situation changera de manière radicale pour suivre le mouvement continu qui porte Ankara vers l’eurasianisme (affectant immédiatement l’Azerbaïdjan). Une analyse du système culturel de ce pays montre qu’il est plus proche de la Fédération de Russie et des républiques post-soviétiques du Caucase et de l’Asie centrale, que l’Iran religieux et même que la Turquie modérée.

 

La Géorgie est la question centrale de cette région. Le caractère de mosaïques de l’Etat géorgien est la cause de graves problèmes au cours de la construction d’un nouvel Etat national qui est fortement rejetée par ses minorités ethniques : Abkhazie, l’Ossétie du Sud, Adjarie etc. De plus, l’Etat géorgien n’a pas de partenaires solides dans la région et doit rechercher l’aide des Etats-Unis d’Amérique et de l’Otan pour contrebalancer l’influence russe. La Géorgie est une menace importante, capable de saboter le processus même de l’intégration eurasienne. La solution à ce problème se trouve dans la culture orthodoxe de la Géorgie, avec ses traits et traditions eurasiens.

 

L’Ukraine et la Biélorussie – pays slaves de la CEI

 

Il est suffisant d’obtenir le support du Kazakhstan et de l’Ukraine pour réussir à créer l’Union eurasienne. Le triangle géopolitique formé par Moscou, Astana et Kiev est une structure capable de garantir la stabilité de l’Union eurasienne — raison pour laquelle les négociations avec Kiev sont plus urgentes que jamais auparavant. La Russie et l’Ukraine ont beaucoup en commun : culture, langue, religion et similarités ethniques. Ces aspects  doivent être soulignés parce que, depuis le début, la récente souveraineté de l’Ukraine, une russophobie et l’idée de désintégration ont été mises en avant.

 

Plusieurs pays de l’Union européenne peuvent influencer de façon positive le gouvernement ukrainien, intéressés qu’ils sont par l’harmonie en Europe de l’Est. La coopération de Moscou et de Kiev démontrera les attitudes paneuropéennes de ces deux pays slaves.

 

Les facteurs que nous venons de mentionner continuent à exister en Biélorussie, où les intentions en faveur de l’intégration sont beaucoup plus évidentes. Cependant, le statut stratégique et économique de la Biélorussie importe moins pour Moscou que celui de Kiev et d’Astana. De plus, la domination par un axe Moscou-Minsk ralentira l’intégration de l’Ukraine et du Kazakhstan, raison pour laquelle l’intégration de la Biélorussie doit avancer de manière fluide avec les autres vecteurs du processus d’intégration eurasienne.

 

L’eurasianisme comme  « Weltanschauung » (vision du monde)

 

La dernière définition de l’eurasianisme caractérise une « Weltanschauung » spécifique : une philosophie politique qui combine tradition, modernité ainsi que des éléments de postmodernisme. Cette philosophie a, pour première priorité, les sociétés traditionnelles ; elle reconnaît les impératifs d’une modernisation technique et sociale (sans séparation d’avec la culture traditionnelle) et s’efforce vers une adaptation de son programme idéologique à la société de l’information post-industrielle, appelée post-modernisme.

 

Le post-modernisme repousse formellement les positions contraires de la tradition et du modernisme, s’en affranchissant et les considérant égaux. Le post-modernisme eurasien, au contraire, promeut une alliance de la tradition et du modernisme, comme impulsion constructive, optimiste et énergique vers la création et la croissance.

 

La philosophie eurasienne ne nie pas les réalités découvertes par les Lumières : religion, nation, empire, culture etc. Dans le même temps, les plus grandes réussites du modernisme sont largement utilisées : avancées technologiques et économiques, garanties sociales, liberté du travail. Les extrêmes se rencontrent, se fondant dans une harmonie unifiante et une théorie originale qui inspire une pensée neuve et de nouvelles solutions pour les éternels problèmes que les peuples ont dû affronter au cours de l’histoire.

 

 

L’eurasianisme est une philosophie ouverte

 

 

   L’eurasianisme est une philosophie ouverte, non dogmatique, qui peut être enrichie par un contenu nouveau : des découvertes religieuses, sociologiques et ethnologiques, la géopolitique, l’économie, la géographie, la culture, la recherche politique etc. De plus, la philosophie eurasienne dans sa version française, allemande ou iranienne est déjà une réalité. Cependant, la structure principale de cette philosophie demeurera intangible.

Les principes de l’eurasianisme

 

Les principes de base de l’eurasianisme sont les suivants :

 

·      Le différentialisme, la pluralité des systèmes de valeurs, par opposition à la domination obligatoire et conventionnelle d’une idéologie ;

·      La tradition par opposition à la suppression des cultures, des dogmes et des découvertes de la société traditionnelle ;

·      Les droits des nations, par opposition à l’extrême richesse et l’hégémonie néo-coloniale du « Nord riche »  ;

·      Les ethnies comme valeurs et sujets d’une histoire, par opposition  à la dépersonnalisation des nations, emprisonnées dans des constructions sociales artificielles ;

·      La justice sociale et la solidarité humaine par opposition à l’exploitation et l’humiliation de l’homme par l’homme.

 

LA vision EURASIENNE

 

Principes de base de la doctrine eurasienne

 

 

Pour 71% des citoyens russes, la Russie appartient à une civilisation « eurasienne » unique – ou orthodoxe ; c’est pourquoi, elle ne suit pas le chemin du développement occidental. Seuls 13% considèrent que la Russie est une civilisation occidentale.

(Enquête du VCIOM, Centre panrusse pour l’étude de l’opinion publique –02-05 novembre 2001)

 

L’air du temps

 

Chaque époque historique possède son propre système d’équivalences : politique, idéologique, économique et culturelle. Par exemple, le XIXe siècle russe a été le témoin de la dispute entre les slavophiles et les pro-occidentaux. (zapadniki). Au XXe siècle, le conflit se situa entre les forces Rouges et Blanches. Le XXIe siècle peut devenir le siècle de l’opposition entre les « atlantistes »* (qui sont en faveur d’une globalisation ** unipolaire et les eurasianistes). ***

 

 

*Atlantisme – terme géopolitique qui englobe les notions suivantes :

·  Des points de vue historiques et géographiques, le secteur occidental de la civilisation mondiale ;

·   D’un point de vue de stratégie militaire, les pays membres de l’OTAN ;

·  D’un point de vue culturel, le réseau unifié d’information créé par les empires des média occidentaux ;

·  D’un point de vue social, le système du « marché libre » qui tend vers une domination absolue et la négation de l’existence de tout autre forme d’économie organisée.

 

 

Les atlantistes – stratèges de la civilisation occidentale et ceux qui les suivent dans cette voie depuis d’autres pays de la planète - souhaitent placer le monde entier sous leur contrôle en imposant leurs valeurs sociales, économiques et culturelles, celles de la civilisation occidentale, au reste de l’humanité. Les atlantistes sont les bâtisseurs du Nouvel Ordre Mondial, un système global sans précédent qui bénéficie à une toute petite minorité de la population mondiale, aussi appelée les « milliardaires en or ».

 

** Le globalisme – processus qui construit le Nouvel Ordre Mondial, au centre duquel on trouve les groupes oligarchiques politico-financiers – est appelé globalisation. Les victimes de la globalisation sont :

 

 

 

·      Les Etats souverains

·      Les cultures nationales

·      Les doctrines religieuses

·      Les traditions économiques

·      Les manifestations de la justice sociale

·      L’environnement

·      Et la diversité spirituelle, intellectuelle et matérielle de la planète.

 

Le terme « globalisme », dans le lexique politique traditionnel, signifie strictement globalisme unipolaire, c’est-à-dire non pas la fusion de différentes cultures et de différents systèmes sociopolitiques et économiques en une entité nouvelle (ceci serait la globalisation multipolaire ou globalisation eurasienne), mais l’imposition d’une forme des valeurs occidentales à l’humanité entière.

 

*** L’eurasianisme (dans son sens le plus large) — est un terme géographique de base qui fait référence à ce qui suit :

·      Des points de vue historiques et géographiques, l’ensemble du monde — en dehors du secteur occidental de la civilisation mondiale.

·      Du point de vue de vue de la stratégie militaire, toutes les nations qui n’approuvent pas la politique expansionniste des Etats-Unis d’Amérique et de ses partenaires au sein de l’OTAN.

·      D’un point de vue culturel, la préservation et le développement des traditions culturelles, nationales, ethniques et religieuses.

·      Du point de vue social, des formes économiques variées.

·      Et une « société socialement juste »

 

L’eurasianisme (dans son sens historique strict) est une force philosophique qui est apparue dans les années 1920 chez des émigrés russes. Ses auteurs principaux sont NS. Troubetzkoy, P.N. Savitsky, N.N. Alekseev, V.G. Vernadsky, V.I. Ilyn, P.P Souvchinsiy, E. Khara-Davan, Y.A. Bromberg et d’autres.

Des années 1950 aux années 1980, ce mouvement fut encore développé et étendu par L.N. Goumilyov.

Le nouvel eurasianisme apparut à la fin des années 1980 (son fondateur étant le philosophe A. G. Dugin) qui développa l’étendue du concept traditionnel, le combinant avec de nouveaux blocs d’idées et de méthodologies : traditionalisme, géopolitique, métaphysique, « Nouvelle droite » et « Nouvelle gauche », « Troisième voie » en économie, préservation de l’écologie, philosophie ontologique, vecteur eschatologique, nouvelle compréhension de la mission universelle de l’Histoire russe, perspective paradigmatique au sujet de l’histoire de la science etc.

 

 

 

 

Les eurasianistes sont opposés à la création d’un Nouvel Ordre Mondial d’origine atlantiste et soutiennent le monde multipolaire. Les eurasianistes défendent par principe la nécessité de préserver l’existence de chaque nation sur la terre, la diversité florissante des cultures et des traditions religieuses, ainsi que le droit inaliénable des nations de choisir leur voie de développement historique, de façon autonome. Les eurasianistes soutiennent la coopération entre les cultures et les différents systèmes de valeur, un dialogue ouvert entre les peuples et les civilisations ainsi qu’une combinaison organique qui rassemble dévotion aux traditions et élans créatifs.

 

Les eurasianistes ne sont pas uniquement représentés par les peuples qui vivent sur le continent eurasien. Être eurasianiste est un choix conscient, qui implique de conjuguer l’aspiration à conserver les  formes traditionnelles de vie, avec le besoin d’un développement libre, créatif (du point de vue personnel et du point de vue social). De cette manière, tous les eurasianistes possèdent des personnalités créatives qui reconnaissent les valeurs de la tradition ; parmi eux se trouvent également des représentants de ces régions qui forment objectivement les bases de l’atlantisme. Les eurasianistes et les atlantistes sont opposés les uns aux autres dans tous les domaines. Ils défendent deux visions différentes du monde et de son futur, visions alternatives et qui s’excluent mutuellement. C’est l’opposition entre eurasianistes et atlantistes qui définit les contours historiques du XXIe siècle.

 

La vision eurasienne du monde futur

 

En conséquence, les eurasianistes défendent le principe de multipolarité, s’opposant au globalisme unipolaire imposé par les atlantistes.

 

Selon la vision eurasienne de ce monde, il n’y aurait plus d’Etats traditionnels. À leur place, se trouveraient de nouvelles formations incluant des civilisations (Grands espaces), unies à l’intérieur de ceintures géoéconomiques (les zones géoéconomiques).

Selon le principe de multipolarité, le futur est anticipé sous la forme d’un partenariat égalitaire, bienveillant, entre toutes les nations et peuples qu’il faudra organiser selon les principes de proximité en termes géographiques, culturels, de valeurs et de civilisations, en quatre ceintures géoéconomiques (chacune formant un Grand espace).

 

·      La ceinture euro-africaine, incluant trois Grands espaces : l’Union européenne, l’Afrique arabo-islamique, l’Afrique sub-saharienne, la ceinture Asie-Pacifique, incluant le Japon, les pays de l’Asie du Sud-Est et enfin l’Indochine, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ;

·      La ceinture du continent eurasien, qui inclura quatre Grands espaces :

·      La Russie et les pays de la CEI ainsi que les pays musulmans du continent, l’Inde et la Chine.

·      La ceinture américaine, incluant trois Grands espaces : l’Amérique du Nord, l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud.

 

Avec une telle organisation du monde, les conflits mondiaux, des guerres meurtrières et les formes extrêmes de confrontations, menaçant l’existence même de l’humanité, deviennent moins probables.

 

La Russie et ses partenaires à l’intérieur de la ceinture continentale établiront des relations harmonieuses, non seulement avec les ceintures voisines (Eurafrique et Asie-Pacifique), mais aussi avec les antipodes, la ceinture américaine, qui sera également appelée à jouer un rôle constructif dans l’hémisphère occidental, dans le contexte d’une structure multipolaire. Une telle vision du futur de l’humanité est l’opposé même de la globalisation des atlantistes qui ont pour objectif la création d’un Nouvel Ordre Mondial unipolaire et préfabriqué.

 

La vision eurasienne de l’évolution de l’Etat

 

Les eurasianistes considèrent l’Etat-nation, avec ses traits actuels, comme une forme dépassée de l’organisation d’un territoire et des peuples, typique de la période historique allant des XVe au XXe siècles. À la place des Etats-nations, de nouvelles formations politiques doivent être créées, combinant l’unification stratégique des grandes puissances continentales avec un système multidimensionnel complexe d’autonomies nationales, culturelles et économiques. Quelques traits de cette forme d’organisation des territoires et des peuples peuvent être envisagés dans les exemples des anciens empires du passé (par exemple, l’empire d’Alexandre le Grand, l’Empire romain etc.) ainsi que dans les nouvelles structures politiques que sont l’Union européenne et la CEI.

 

Les Etats-nations contemporains doivent aujourd’hui faire face aux situations suivantes :

 

-    L’auto liquidation et l’intégration à l’intérieur d’un unique système planétaire, sous la domination des Etats-Unis d’Amérique (atlantisme et globalisation) ;

-    L’opposition à la globalisation et tentative de préservation de leurs propres structures administratives (souveraineté formelle) malgré la globalisation.

-    L’entrée dans des formations supra étatiques d’un caractère régional (Grands espaces) sur la base de communautés historiques, culturelles et stratégiques.

 

La troisième variante est la proposition eurasienne. Du point de vue de l’analyse eurasienne, tel est le chemin de développement capable de préserver les éléments qui ont le plus de valeur et qui sont les plus originaux dans chaque Etat contemporain, ceux  qui doivent être protégés contre la globalisation. L’aspiration tout simplement conservatrice de préserver l’Etat à tout prix est vouée à l’échec. Les tentatives conscientes des directions politiques de dissoudre leurs Etats dans un projet globalisant sont considérées par les eurasianistes comme un renoncement à leurs valeurs corrélatives, dont la préservation a été considérée comme un devoir par les Etats historiques vis-à-vis de leurs sujets.

 

Le XXIe siècle sera l’arène d’une décision fatale de la part des élites politiques contemporaines au sujet de ces trois voies possibles. Le combat pour la troisième variante de développement réside dans les fondements d’une nouvelle coalition internationale entre les forces politiques, en phase avec la vision mondiale eurasienne.

 

Les eurasianistes considèrent la Fédération de Russie et la CEI comme le noyau d’une formation politique autonome future, l’Union eurasienne et l’une des quatre ceintures géoéconomiques du monde (bloc continental eurasien) s’y adjoignant. Dans le même temps, les eurasianistes sont fermement favorables au développement d’un système multidimensionnel d’autonomie.*

 

 

*«Autonomie (du grec ancien : gouvernement propre) : La forme de l’organisation naturelle d’un ensemble de personnes unies par n’importe quel trait organique (national, religieux, professionnel, historique etc). Un trait distinctif de l’autonomie réside dans le fait que la plus grande liberté se trouve dans les sphères qui n’ont pas d’intérêts stratégiques dans ces formations géographiques.

 

"L’autonomie est opposée à la souveraineté – un trait de l’organisation des peuples et des territoires typiques des Etats-nations dans leur forme actuelle. Dans le cas de la souveraineté, nous parlons du droit à une direction libre et indépendante du territoire ; l’autonomie concerne l’indépendance par rapport à la vie collective des peuples et des régions et n’est pas liée à la direction du territoire.

 

Le principe de l’autonomie multidimensionnelle est compris comme la meilleure structure organisationnelle de la vie des personnes et des groupes ethniques et socioculturels dans la Fédération de Russie, l’Union européenne, la ceinture eurasienne continentale et les autres Grands espaces et ceintures géoéconomiques (zones).

 

Les territoires des nouvelles formations politico stratégiques (Grands espaces) doivent êtres placés sous la direction immédiate d’un gouvernement stratégique. Dans cette autonomie, se trouvent des solutions liées aux aspects non-territoriaux du gouvernement des collectivités dont il faudra décider.

 

 

Le principe eurasien de la division des pouvoirs

 

Le principe eurasien de direction politique propose deux niveaux différents de gouvernement : local et stratégique. Dans le domaine local, le gouvernement est contrôlé au travers des autonomies, bien sûr composées d’associations de diverses sortes (depuis celles où travaillent des millions de personnes jusqu’aux petites collectivités constituées de quelques employés). Ce gouvernement agit de manière parfaitement autonome et n’est pas dirigé par des antécédents quelconques. Le modèle de gouvernement est librement choisi dans le cas de l’autonomie, est issu de la tradition, de l’inclination et de l’expression directe démocratique de la volonté des collectivités organiques : entreprises, groupes et organisations religieuses.

 

Sous la direction de ces entités-autonomies sont placés : les choix civils et administratifs, les sphères sociales, les services d’éducation et médicaux, tout comme chaque sphère de l’activité économique. Ceci signifie que tous les secteurs, en dehors des branches stratégiques et des questions qui concernent la sécurité et l’intégrité territoriales des Grands espaces, sont concernés.

 

Le niveau de liberté de chaque citoyen, grâce à l’organisation de la société suivant le principe eurasien d’autonomie, est élevé comme il ne l’a jamais été. L’Homme reçoit la liberté de se réaliser lui-même et de développer sa créativité d’une manière que l’on n’a jamais vue auparavant dans l’Histoire de l’humanité.

 

Les questions de sécurité stratégiques, d’activités internationales au-delà du simple espace continental, les questions macro-économiques ainsi que le contrôle sur les ressources stratégiques et les communications sont placés sous la direction d’un unique centre stratégique. *

 

 

·      * Centre stratégique unique – telle est la définition conventionnelle pour toutes les entités dans lesquelles le contrôle est utilisé pour les gouvernements régionaux stratégiques des Grands espaces. C’est une structure hiérarchique rigide, combinant des éléments militaires, judiciaires et administratifs. C’est le pôle de la planification géopolitique et le gouvernement des Grands espaces.

 

 

 

 

L’équilibre des niveaux de puissance stratégique et locale est strictement défendu. Toute tentative d’introduire de l’autonomie dans les questions qui concernent la compétence de ce centre stratégique unique doit être anéantie. L’inverse est également vrai. De cette façon, les principes de gouvernement eurasiens combinent de manière organique les droits culturels et religieux, les traditions nationales et locales et prennent en compte la diversité des régimes sociopolitiques variés, qui se sont formés au cours des siècles. C’est pourquoi, ces principes proposent une garantie solide de stabilité, de sécurité et de permanence territoriale.

 

La vision eurasienne de l’économie

 

Les atlantistes veulent imposer à tous les peuples du monde un modèle unique de construction économique, élevant l’expérience du développement économique de la partie occidentale du monde aux XIXe et XXe siècles au statut d’un modèle. Au contraire, les eurasianistes sont convaincus que les systèmes économiques dérivent de traits historiques et culturels dans leur développement ; en conséquence, dans la sphère économique, les systèmes économiques se conforment à la variété et à la pluralité des régimes, de la recherche créatrice et du développement libre.

 

Seuls des domaines stratégiques sur une grande échelle, liés aux besoins de sécurité générale (complexes militaro-industriels, transports, matières premières, énergie, communications) sont soumis à des contrôles rigides. Tous les autres secteurs de l’activité doivent se développer de manière organique et libre, selon les conditions et traditions des autonomies concrètes, dans lesquelles une activité économique prend naturellement sa place.

 

L’eurasianisme en vient à la conclusion que dans le domaine économique, il n’y a pas de vérité définitive – les recettes du libéralisme* et du marxisme** ne peuvent être que partiellement appliquées, en fonction des conditions réelles. Dans la pratique, ce qu’il faut, c’est combiner de manières différentes l’approche du marché libre avec un contrôle réservé aux domaines stratégiques ; il faut orienter la redistribution du contrôle selon les objectifs nationaux et sociaux dans leur ensemble. De cette manière, l’eurasianisme se conforme à la « Troisième Voie » *** comme modèle économique.

 

*Le libéralisme – doctrine économique soutenant que seule la plus parfaite liberté du marché et la privatisation de tous les instruments économiques créent les conditions optimales de la croissance économique. Le libéralisme est une doctrine dogmatique en faveur de la croissance économique. Le libéralisme est la doctrine économique dogmatique des atlantistes et des globalistes.

 

**Le marxisme – doctrine économique qui affirme que seul le contrôle intégral du processus économique, la logique de la planification générale obligatoire, et la distribution équitable de la plus-value réalisée sur les produits entre tous les membres de la société (collectivisme) peuvent constituer les fondations économiques d’un monde juste. Le marxisme rejette le marché et la propriété privée.

 

*** L’économie de la Troisième Voie – est une combinaison de théories économiques, rassemblant l’approche du marché avec une économie réglée sur la base de critères et de principes supranationaux.

 

 

L’économie de l’eurasianisme doit être construite selon les principes suivants :

·      Subordination de l’économie à des valeurs spirituelles plus élevées de l’économie 

·      Principes de l’intégration macro-économique et division du travail à l’échelle des Grands espaces (unions douanières) ;

·      Création d’un système d’information unique et productif pour les finances, le transport, l’énergie ;

·      La différenciation des barrières économiques entre les Grands espaces et les zones géoéconomiques ;

·      Le contrôle stratégique des branches qui composent le système stratégique par un centre et, parallèlement, une liberté maximale pour l’activité économique au niveau des petites et moyennes entreprises ;

·      La combinaison organique des formes de direction (structure du marché) avec les traditions régionales en matière sociale, nationale et culturelle (absence d’un modèle économique uniforme pour les entreprises de moyenne et grande tailles.)

 

La vision eurasienne des finances

 

Le centre stratégique unique de l’Union eurasienne doit aussi considérer la question du contrôle de la circulation de la monnaie comme étant d’importance stratégique. Aucune monnaie unique ne doit être utilisée avec le rôle de monnaie universelle unique de réserve. Il est nécessaire de créer une monnaie spéciale de réserve pour l’Eurasie, comme devise légale des territoires à l’intérieur de l’Union eurasienne. Nulle autre monnaie ne devra être utilisée dans l’Union eurasienne comme monnaie de réserve. D’autre part, la création de moyens locaux d’échange et de paiement, étant la devise légale à l’intérieur d’un ou plusieurs territoires autonomes voisins , doit être encouragée. Cette mesure évitera l’accumulation de capitaux pour des buts spéculatifs et donnera une stimulation à sa circulation. De plus, ceci accroît la somme d’investissements dans le secteur même de l’économie. Pour cette raison, les fonds devront être investis prioritairement là où ils peuvent être utilisés de façon productive.

 

·      Le financialisme – est le système économique de la société capitaliste dans son développement post-industriel, comme le résultat logique du développement illimité des principes du libéralisme dans l’économie. Ses traits spécifiques sont que le secteur réel de l’économie devient subordonné à des opérations financières virtuelles (marchés boursiers, marchés financiers, portefeuille d’investissements, opérations sur des obligations internationales, transactions sur le futur, prévision spéculative sur les tendances du marché etc.). Le financialisme se place dans des zones de politique financière qui séparent le monde des réserves de devises et de la monnaie électronique du secteur productif.

 

           

 

 

 

 

 

 

 

Selon le projet eurasien, la sphère financière est considérée comme un instrument de production et d’échange réel et dirige les aspects qualitatifs  du développement économique. À la différence des projets atlantiste et globaliste, la sphère financière ne doit avoir aucune autonomie (financialisme*) quelle qu’elle soit.

 

La vision régionale du monde multipolaire propose différents niveaux de monnaie :

 

·      Une monnaie géoéconomique (des valeurs argent et papier, comme devises légales à l’intérieur d’une zone géoéconomique définie et comme instrument des relations financières parmi les centres stratégiques d’un ensemble de Grands espaces.

·      La monnaie (différentes formes d’échange équivalent) au niveau des autonomies.

 

Liées à ce plan, les institutions financières de crédit (banques), les banques régionales, les banques des Grands espaces et les banques (et leur équivalent) – devront être organisées.

 

L’attitude eurasienne vis-à-vis de la religion

 

Dans la foi en l’héritage spirituel des prophètes, dans la grande valeur qu’ils accordent à la vie religieuse, les Eurasiens voient un moyen de régéneration authentique et de développement social harmonieux. Les atlantistes, par principe, refusent d’y voir autre chose que de l’éphémère, du temporaire, du présent. Pour eux, il n’y a pas vraiment de passé ni de futur.

 

La philosophie de l’eurasianisme, au contraire, combine une foi profonde et sincère pour le passé avec une attitude ouverte vers le futur.  Les eurasianistes acceptent la fidélité aux sources de la religion aussi bien qu’une recherche libre et créatrice. Le développement spirituel est la priorité principale dans la vie, et son absence ne permettrait pas de trouver une quelconque compensation dans les biens économiques ou sociaux.

 

Dans l’opinion des eurasianistes, chaque tradition religieuse locale ou système de foi, même le plus insignifiant, est le patrimoine de toute l’humanité. Les religions traditionnelles des peuples, connectées aux différents héritages spirituels et culturels, méritent l’attention et le respect le plus profond. Les structures représentatrices des religions traditionnelles doivent s’assurer du soutien des centres stratégiques. Les groupes schismatiques, les associations religieuses extrémistes, les prédicateurs des doctrines religieuses non-traditionnelles, les sectes totalitaires et toutes les autres forces orientées vers la destruction, doivent être combattues de manière active.

 

La vision eurasienne de la question nationale

 

Les eurasianistes pensent que chaque personne dans le monde – depuis ceux qui fondèrent de grandes civilisations ou d’autres plus petites et qui préservent avec soin leurs traditions – représentent une richesse inestimable. Leur assimilation au travers d’influences extérieures, la perte de la langue ou des modes de vie traditionnels, voire leur extinction physique, seraient une perte irréparable pour l’humanité tout entière.

 

Les eurasianistes appellent la profusion des peuples, des cultures et des traditions la “complexité florissante” – signe de développement sain et harmonieux de la civilisation humaine. Les Grands-Russes, sous cet angle, représentent un cas unique de fusion entre trois éléments ethniques (slaves, turcs et finno-hongrois) en un seul peuple, avec une tradition originale et une culture riche.  Dans le cas de l’apparition des Grands-Russes à partir d’une synthèse de trois groupes ethniques, se trouve un potentiel d’intégration d’une richesse exceptionnelle. Pour cette même raison, la Russie est devenue plus d’une fois le centre d’une union entre différents peuples et cultures pour aboutir à une civilisation unique faite d’entrelacs. Les eurasianistes pensent que la Russie est destinée à jouer le même rôle au XXIe siècle.

 

Les eurasianistes ne sont pas isolationistes, de même qu’ils ne soutiennent pas l’assimilation à tout prix. La vie et la destinée des nations est un processus organique qui ne tolère aucune interférence artificielle. Les questions inter-ethniques et internationales doivent être traitées selon leur logique interne. Les nations doivent avoir la liberté de faire leurs choix historiques de manière indépendante. Personne n’a le droit de forcer une nation à perdre son unicité en se mélangeant à l’intérieur d’un “melting pot” (creuset), comme les atlantistes le voudraient. Les droits des nations ne sont pas moins importants pour les eurasianistes que les droits de l’homme.

 

L’Eurasie comme planète

 

L’eurasianisme est une vision du monde, une philosophie, un projet géopolitique, une théorie économique, un mouvement spirituel et un noyau autour duquel on peut consolider un large éventail de forces politiques. L’eurasianisme est libre de tout dogmatisme, de toute soumission aveugle aux autorités et idéologies du passé. L’eurasianisme est la plate-forme idéale pour les habitants du Nouveau Monde, pour qui les conflits, les guerres et les mythes du passé ont seulement un intérêt historique.

 

L’eurasianisme comme principe est une vision du monde neuve pour les nouvelles générations du nouveau millénaire.  L’eurasianisme dérive son inspiration de différentes doctrines philosophiques, politiques et spirituelles, qui, jusqu’à aujourd’hui, étaient irréconciliables et incompatibles. De plus, l’eurasianisme possède un ensemble concret d’idées fondatrices de base, desquelles nul ne doit dévier sous aucun prétexte. L’un des principes essentiels de l’eurasianisme est l’opposition cohérente et répandue au projet unipolaire de la globalisation. Cette opposition (différente d’une simple négation ou du conservatisme) a un caractère créatif. Nous comprenons l’aspect incontournable de certains processus historiques : notre but est d’en être conscients, d’y prendre notre part et de les guider dans une direction correspondant à nos idéaux.

 

On pourrait dire que l’eurasianisme est la philosophie de la globalisation multipolaire, demandant l’union de toutes les sociétés et de tous les peuples sur la terre pour construire un monde original et authentique, dont chaque élément dériverait de manière organique des traditions historiques et des cultures locales.

 

Historiquement, les premières théories eurasiennes ont fait leur apparition parmi des penseurs russes au début du XXe siècle, mais ces idées étaient en harmonie avec la recherche spirituelle et philosophique de tous les peuples de la terre – du moins, de ceux qui réalisaient la nature limitée et inadéquate de dogmes ordinaires, l’échec des voies sans issue vers lesquelles les clichés des intellectuels se trouvaient orientés et le besoin de s’échapper, grâce à de nouveaux chemins, vers des horizons nouveaux. Aujourd’hui, nous pouvons attribuer à l’eurasianisme un nouveau sens global. Nous pouvons réaliser que notre héritage eurasien n’est pas seulement le travail de l’Ecole russe, le plus souvent identifiée sous ce nom, mais également une veine culturelle et spirituelle immense qu’il faut préserver, venant de tous les peuples de la terre et n’appartenant pas uniquement à la structure étroite de ce qui, jusqu’à il y a peu de temps (au XXe siècle), était considéré comme une orthodoxie immuable (libéralisme, marxisme et nationalisme).

 

Dans son sens le plus élévé et le plus large, l’eurasianisme acquiert une signification nouvelle et extraordinaire. Aujourd’hui, il ne s’agit plus uniquement d’une forme de l’idée nationale pour la Russie post-communiste (telle qu’elle était conçue par ses fondateurs et les premiers des nouveaux eurasianistes. C’est un vaste programme en accord avec les intérêts planétaires, et qui dépasse de beaucoup les frontières de la Russie et du continent eurasien.

 

De la même manière, le concept d’américanisme peut être appliqué aujourd’hui à des régions géographiques qui se trouvent au-delà du continent américain ; l’eurasianisme est un choix stratégique unique, civilisationnel, culturel et politique, qui peut être repris par n’importe quel représentant de l’humanité, quels que soient son pays ou la culture nationale et culturelle à laquelle il appartient.

 

De manière à présenter cette notion d’eurasianisme avec le maximum de contenu, il y a encore beaucoup à faire. Dans la mesure où jamais ne se rejoindront dans notre projet les strates culturelles, nationales, philosophiques et religieuses, la signification même de l’eurasianisme doit être élargie, enrichie et ses traits changés. Cependant, une telle évolution du sens de la plate-forme eurasienne ne doit pas demeurer une question théorique – bon nombre de ses aspects doivent trouver leur expression et leur mise en application dans une pratique politique concrète.

 

Dans la synthèse eurasienne, les mots ne peuvent être envisagés sans l’action et vice versa. Le champ de la bataille spirituelle à propos du sens et du devenir de l’histoire touche le monde entier. Le choix de son propre camp appartient à chacun individuellement. Le temps décidera du reste. Cependant, tôt ou tard, à travers les accomplissements remarquables et en raison du coût de batailles dramatiques, l’heure de l’Eurasie adviendra.

 

La structure du Mouvement international eurasien

 

La structure du Mouvement international eurasien est déterminée par des objectifs généraux et les conditions historiques actuelles qui sont sans précédent. Le principal objectif stratégique du mouvement est la coordination de tous les pouvoirs eurasiens dans un front sociopolitique uni. Cela signifie coordination, consolidation, et intégration de tous les mouvements, les organisations sociopolitiques, les institutions, les fonds etc, pour qu’ils adhèrent aux objectifs d’un monde multipolaire et à la “complexité florissante”, par opposition à la globalisation unipolaire et à l’expansion de l’atlantisme.

 

Ces pouvoirs eurasiens (dans la signification la plus large du terme) varient grandement – depuis les organisations internationales puissantes (par exemple l’ONU qui devrait s’effacer en raison de l’hégémonie américaine), les institutions gouvernementales, les partis politiques aussi bien que les petits groupements de personnes qui sont unies par des critères communs, politiques, culturels, nationaux, religieux et professionnels.

 

En raison d’une diversité de sujets aussi grande, la structure du mouvement doit être flexible et complètement différente de ce qui fait l’expérience d’un parti politique, d’un mouvement, d’un centre de recherche, d’une institution gouvernementale ou d’un consortium économique.

 

La fondation d’un monde unipolaire est une tâche sans précédent et à laquelle l’humanité n’a jamais encore été confrontée. Ce nouveau combat international (système de communications global, nouvelles technologies, transports, structures sociales et économiques etc) exige une direction dans toutes les sphères, y compris les aspects organisationnels.

 

L’efficacité de nos actions repose sur une structure flexible et adaptée du mouvement. Par exemple, la démocratie ouverte et l’activité internationale sont corrélatives de la mise en oeuvre de projets pour le développement eurasien, les organisations religieuses retrouvent les structures politiques (sur la base de la coopération et du dialogue), les centres de coopération (dirigés par des corporations transnationales eurasiennes) doivent collaborer avec les structures militaires, etc.

 

Tous les aspects de l’activité du mouvement présentent un système diversifié de relations : l’économie liée avec la politique, la technologie avec l’écologie, les systèmes d’information avec la culture, les questions militaires avec les questions religieuses, la structure du potentiel stratégique avec les progrès industriels et l’organisation administrative, enfin les avancées intellectuelles avec les mécanismes qui créent les élites. Une approche aussi complexe, qui amalgame différentes sphères de l’activité humaine, est l’aspect central unique du Mouvement international eurasien en tant que forme innovante de l’existence d’une société.

 

Les structures atlantistes modernes, les fondations “charitables, les centres de recherche et les mass-média à l’échelle mondiale, représentent des instruments tangibles du système idéologique opposé à l’eurasianisme et ont un objectif : la création d’un monde unipolaire, dirigé par les Etats-Unis et les pays “milliardaires en or”. Nous faisons actuellement l’expérience non seulement de modes généraux de développement, d’un “processus spontané”, ou “théorie sans pratique”, mais également d’un mécanisme puissant et efficace pour la réalisation de tout objectif posé par les adeptes de l’atlantisme (globalisation).

 

L’atlantisme n’est pas seulement théorie pure : il inclut l’OTAN, le potentiel économique de la plupart des pays développés (Etats-Unis d’Amérique), une information de masse globale et contrôlée, un réseau de centres de recherche à travers le monde (support idéologique), d’innombrables agents d’influence (représentés dans les organisations internationales, les partis politiques, les religions etc.). Tous ces éléments sont les instruments qui sont appelés à établir et renforcer le monde unipolaire.

 

L’eurasianisme doit développer une structure, centralisée et efficace (de façon idéologique et organisationnelle) afin d’unir les adversaires de la globalisation. Celle-ci a dépassé les frontières des Etats-Unis et du monde occidental : aujourd’hui, nous pouvons parler d’une “internationale atlantiste”. La mission historique de l’eurasianisme repose dans la création d’une base commune pour le combat et la tentative d’établir une nouvelle version de l’avenir (multipolaire). Nous devons mettre en place une structure équivalente, l’eurasianisme international, avec l’objectif à long terme de coordonner l’activité multipolaire.

 

Le Mouvement eurasien et le projet d’une ceinture continentale eurasienne.

 

Le Mouvement international eurasien considère que la Fédération de Russie est le lieu de lancement et la base principale de ses activités. La raison en est que, pendant des siècles, la Russie a recherché une alternative au mode occidental de développement social (le conflit entre les églises catholiques et protestantes et l’église orthodoxe russe ; l’opposition du Moyen-Age jusqu’à la fin du XIXe siècle, suivie par la confrontation entre deux systèmes socioéconomiques globalisants au cours du XXe siècle). Pendant toute son histoire, la Russie a tenté de réaliser ses idéaux éthiques alternatifs (parfois avec des conséquences tragiques).

 

L’histoire russe n’est pas arrivée à sa fin et le peuple russe demeure dévoué à sa mission historique, raison pour laquelle la Russie est destinée à devenir le conducteur mondial d’une nouvelle alternative mondiale (eurasianisme), alternative de la version occidentale de l’avenir du monde : la globalisation unipolaire. L’eurasianisme propose un plan pour une nouvelle organisation sociopolitique de tous les peuples de la terre. Le développement de l’organisation sociopolitique peut commencer en même temps à l’échelle de la planète, partout la globalisation peut se trouver repoussée. Toute expérience d’une telle opposition est vitale pour la politique russe et le processus eurasien dans le monde entier. De plus, l’expérience des réformes eurasiennes dans la Fédération de Russie pourrait être très importante pour les adeptes de la multipolarité à travers le monde.

 

Dans le domaine politique, le Mouvement international eurasien doit soutenir la création de quatre zones géo-économiques. La quatrième zone géo-économique est la ceinture continentale eurasienne (les trois autres étant l’Amérique, l’Eurafrique et le Pacifique). La géo-économie atlantiste propose seulement trois zones et appelle l’Eurasie le « trou noir », territoire possédé en partie par les trois autres zones. Ainsi, l’intégration de ce territoire est le stage le plus important de la mise en place de la géoéconomie eurasienne et le pré-requis géopolitique. C’est pourquoi, si les trois zones primitives (Amérique, Eurafrique et Pacifique) doivent se transformer selon les règles eurasiennes, la ceinture continentale eurasienne doit être créée.

 

La ceinture continentale eurasienne propose une intégration stratégique rapide sur le plan économique comme sur le plan stratégique pour chacun de ces quatre Grands espaces du globe. Tout d’abord, la consolidation politique et économique de chacun de ces espaces, qui consiste aujourd’hui en un ou plusieurs Etats-nations. Les frontières de la Chine et de l’Inde atteignent les limites de ces Grands espaces, mais pour la Russie et les pays de la CEI, ainsi que pour les pays musulmans continentaux (Iran, Pakistan, Afghanistan et probablement la Turquie, l’Irak et la Syrie), l’intégration est un processus compliqué. La fondation de ces Grands espaces est un objectif primordial pour le mouvement eurasien. L’intégration des Grands espaces pourra se faire en même temps que la construction de la ceinture continentale eurasienne. Le succès dans une direction entraînera le progrès dans un autre domaine.
 

L’activité conjointe (économique, stratégique, politique et diplomatique) avec les pays du continent eurasien est très active aujourd’hui, raison pour laquelle nous serons en mesure d’annoncer très prochainement le projet d’une ceinture continentale eurasienne d’un système unifié, géo-économique et stratégique pour la sécurité collective du continent. De plus, tous les participants sont des adhérents depuis longtemps acquis au monde multipolaire. Dans le passé, ils formaient le cadre du “camp socialiste” ou appartenaient à des pays du Tiers-monde (mouvement des non-alignés). Ils soutiennent aujourd’hui leur propre avenir, différent du concept de globalisation unipolaire. L’objectif principal du Mouvement international eurasien est de promouvoir ce processus ; de lui donner corps ; et de donner de la force à la fondation des institutions nécessaires, stratégiques et diplomatiques, des structures, fonds et corporations ; de promouvoir la coopération, en prenant en compte les facteurs historiques, religieux et ethniques.

 

Le modèle eurasien d’intégration politique dans les Grands espaces offre une occasion de résoudre des conflits et de coopérer sur la base d’une compréhension et d’une harmonie. L’utilisation réussie du modèle eurasien résoudra aussi bien les conflits ethniques, que tout autre conflit dans la Fédération de Russie (spécialement dans le Caucase) et se montrera d’une grande valeur pour les pays de la CEI (Karabak, Kirghizie, Tadjikistan). L’utilisation intensive du modèle russe et des pays de la CEI conduira à la création rapide de l’Union eurasienne, des Grands espaces et de la ceinture continentale eurasienne.

 

La ceinture américaine

 

La domination indiscutable du Grand espace de l’Amérique du Nord (Etas-Unis d’Amérique et Canada) doit commencer par le processus d’intégration de l’Amérique latine (deux Grands espaces : l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale), pour préserver les aspects spécifiques, historiques, économiques et politiques de la civilisation latine, différents de ceux de type anglo-saxon. Ceci laisse présumer d’une indépendance plus grande de cette civilisation dans les pays latino-américains par rapport au “leader” de cette zone du méridien : les Etats-Unis. Cette théorie de l’intégration eurasienne pour les civilisations proches et les espaces culturels est capable de garantir aux nations d’Amérique latine un développement complet, qui mettra en avant leur statut géopolitique et des solutions harmonieuses pour les questions ethniques, sociales, technologiques, écologiques, démographiques et économiques.

 

En ce qui concerne la ceinture géo-économique américaine, les eurasianistes soutiennent les points suivants :

 

·      La limitation des intérêts américains, qu’ils soient stratégiques, politiques ou économiques, à l’intérieur des frontières de la zone du méridien américain (nos alliés dans ce contexte sont les conservateurs américains – adeptes de l’isolationisme et de l’expansionisme, limités par la doctrine Monroe.

·      L’autonomie maximum des mouvements démocratiques, écologiques et culturels au niveau national.

·      L’intégration des pays latins dans les Grands espaces des pays d’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud, qui renforceront leur autonomie culturelle.

 

Aujourd’hui, l’influence des Etats-Unis est la tendance globale la plus négative car elle apporte l’atlantisme à toutes les nations du monde. Cette option peut être acceptée si Washington renonce à promouvoir une globalisation unipolaire et à agir comme le gendarme mondial. Cependant, cette situation changera dès que l’Amérique rejettera son plan d’une hégémonie mondiale et acceptera de n’être qu’une super-puissance régionale, à l’intérieur des limites de la zone du méridien américain. Nous ne pouvons pas non plus exclure qu’après avoir éliminé la répression culturelle, cette nation reconsidèrera objectivement les valeurs de la civilisation américaine et pourra éventuellement adopter ce qu’ils considèrent comme positif ailleurs. Ainsi, les Etats-Unis pourront multiplier le nombre de leurs “satellites”, sans aucune pression. L’objectif eurasien pour la zone du méridien est de rechercher les adeptes de la théorie eurasienne à l’intérieur des Etats-Unis et de l’Amérique latine.

 

La ceinture eurafricaine

 

L’Union européenne est en train de devenir rapidement la force économique principale du Grand espace eurafricain et elle projette la promotion de son statut stratégique et géopolitique dans un avenir à moyen et long termes (Eurocorps, Plan de sécurité commune en Europe). Se développe actuellement pour l’intégration en Europe, l’expression d’une logique eurasienne (sauf chez les régionalistes qui souhaitent la promotion d’orientations démocratiques et traditionnelles). Le projet eurasien pour l’Union européenne est un saut qualitatif vers l’idée de Grand espace eurafricain. Les étapes de l’intégration européenne sont les véritables signes de l’eurasianisme : le rejet des Etats-nations, un système commun pour l’économie et la monnaie et, pas après pas, l’indépendance de l’Union européenne par rapport au contrôle américain.

 

L’Asie présente une volonté stratégique d’un monde multipolaire mais, parallèlement elle ne dispose que de ressources en matières premières limités. L’Europe possède un système géo-économique intégré ; cependant, jusqu’à un temps récent, il n’y a pas eu de déclarations ni de prise de position claire de l’UE sur l’importance qu’elle accorde au monde multipolaire. Le Mouvement international eurasien est évidement intéressé par le développement de l’intégration d’une Europe unie, en même temps qu’il souhaite préserver les principes de la multipolarité organique de l’Europe. Les nations européennes doivent se tourner vers la tradition et renouveller l’extraordinaire culture de l’Europe.

 

L’eurasianisme soutient le renforcement du statut stratégique régional, économique et politique de l’Union européenne et croit qu’il peut devenir le meneur géopolitique de la ceinture eurafricaine. Ce processus a deux vecteurs :

·      Les relations entre Europe et Maghreb

·      Les relations entre Europe et Afrique sub-saharienne

 

L’indépendance du choix dans la résolution des questions euro-arabes et euro-américaines donnera à l’Union européenne l’occasion de devenir un partenaire puissant dans le monde multipolaire.

 

La fondation de la zone du méridien eurafricain éliminera la dépendance en matière de ressources mais si l’Europe tente de devenir la puissance principale dans le Sud, cela entraînera un choc contre la pression et l’hégémonie des Etats-Unis. Empêcher l’Union européenne de parvenir jusqu’au Sud, est un impératif pour le contrôle américain de l’Europe. Le projet eurasien a pour but la désintégration de la structure de puissance trans-atlantique et promeut une coopération forte et avantageuse avec l’Afrique.

 

Le deuxième Grand espace est le monde arabe, depuis l’Afrique du Nord musulmane jusqu’au Maghreb et au Moyen Orient. C’est une région très complexe qui est contenue dans les frontières historiques de l’Empire ottoman. Ces territoires doivent être intégrés dans une structure géopolitique qui établira les relations économiques et politiques avec l’Europe et l’Afrique saharienne. Le fait que ces territoires sont sous domination des traditions islamiques peut constituer un facteur supplémentaire d’intégration. Néanmoins, il y a des formes de radicalisme islamique (qui se disent universelles) et qui s’opposent aux principes de base de l’eurasianisme. Elles proposent d’une part une multiplicité interne et d’autre part un système d’autonomies intérieures (la complexité florissante de l’Eurasie). Ainsi, les principaux alliés de l’Eurasie dans le monde arabe, qui adhèrent à l’Islam et, en même temps respectent les traditions locales, sont des soufis tarikats, des chiites et d’autres groupes ethno-religieux qui promeuvent une diversité spirituelle et culturelle.

 

Un autre danger réside dans les tentatives des islamistes intégristes de s’étendre dans des régions non arabo-islamistes, depuis la Turquie jusqu’au Kazakhstan et les Philippines. Ceci est typique des régimes orientés vers l’atlantisme (par exemple, l’Arabie séoudite). Cette tendance doit être vigoureusement combattue.

 

Un but essentiel de l’eurasianisme est l’intégration stratégique de l’Afrique saharienne et sa transformation en un Grand espace indépendant – les frontières de pratiquement tous les pays africains ont été héritées des temps coloniaux. Elles ne s’adaptent pas aux spécificités historiques, ethniques, culturelles ou économiques des nations africaines. Le système fragmentaire et artificiel des Etats est la cause de difficultés ethniques et crypto-colonialistes. Le type psychologique du peuple africain est plus adapté aux idées de l’eurasianisme, parce que l’idée européenne est ouverte à un sens d’intégration complète et organique d’un peuple, d’une histoire, d’une société et de la nature. La libération africaine de son héritage post-colonial n’est possible qu’au travers de l’intégration au sein d’une seule civilisation stratégique, amicale pour le monde arabe et orientée vers une Europe unie, qui deviendrait le meneur de la zone du méridien eurafricain. Une attention spéciale doit être donnée à l’influence d’Israël qui joue le rôle particulier d’agent atlantiste dans cette région. Nous devons trouver un nouveau modèle pour arrêter le conflit israélo-arabe et proposer une formule positive pour leur participation à la construction de la zone du méridien eurafricain.

 

La ceinture pacifique

 

 

Le meneur stratégique, politique et économique de la ceinture pacifique est assurément le Japon, civilisation unique représentée par un petit groupe d’îles et un exemple extraordinaire de concentration d’un Grand espace dans une très petite région géographique. Le Japon possède un potentiel énorme d’expansion, un ordre social très strict et une énergie interne inégalée. Le potentiel japonais, artificiellement limité par les Etats-Unis d’Amérique et utilisé uniquement dans la sphère  économique, doit être libéré et utilisé pour la réorganisation de la zone pacifique tout entière.

 

Le Japon (tout comme l’Europe dans la zone du méridien eurafricain) est le “leader” objectif du Pacifique. L’indépendance par rapport au contrôle américain dans les sphères géopolitiques, politiques et militaires est la condition nécessaire à la mise en place d’une multipolitarité réelle.

 

Le Japon, comme l’Europe, appartient actuellement à la sphère d’influence atlantique, mais il a un potentiel interne énergétique qui lui vient de la psychologie nationale pour pouvoir être le cadre de la zone du méridien pacifique. Ce pays a besoin du soutien fort de l’Eurasie dans les sphères économiques et stratégiques – tout renforcement de ce pays augmentant automatiquement le potentiel général de l’eurasianisme.

 

Les autres Grands espaces potentiels de la ceinture pacifique sont la Malaisie, l’Atlantique et quelques pays de la péninsule indochinoise. Ils représentent un système complexe de progrès technologique (en raison de leur inclusion dans le système du monde capitaliste), avec des éléments variés d’une société traditionnelle.

               

Il est très important pour les élites politiques de cette région de prendre en considération la situation présente, comme étant un ”eurasianisme potentiel”, parce que la philosophie eurasienne est fondée sur l’adhérence organique à la tradition, combinée avec une avance technologique et un développement social. L’Australie et la Nouvelle Zélande doivent être intégrées dans le contexte civilisationnel et géoéconomique d’une Grande Asie et se sentir libérées de l’héritage colonialiste du XXe siècle. L’eurasianisme australien est la création d’un nouveau modèle de relations entre les Anglo-saxons d’Europe et le nombre toujours croissant d’émigrants venus d’Asie (Chine, Vietnam, Malaisie etc).

 

Vers l’Union eurasienne au travers du processus eurasien (expérience politique et structures de coordination)

 

La transition du modèle de l’Etat-nation au modèle des Grands espaces doit se poursuivre à différents niveaux sur la base d’une intégration multidimensionnelle. Ces niveaux sont :

 

 

·      économique,

·      géopolitique

·      stratégique

·      politique,

·      culturel,

·      informationnel,

·      linguistique.

 

Chacun de ces niveaux propose son propre modèle d’action politique pour le Mouvement International Eurasien.

 

Une attention spéciale doit être prêtée au processus de la transformation des pays de la CEI dans l’Union eurasienne. La CEI est un exemple de groupe asymétrique d’Etats-nations, où l’un des pays (la Fédération de Russie) possède des droits de souveraineté partielle sur le plan géopolitique, tandis que les autres n’ont pas de droits semblables. Le Grand espace qui doit être créé sur la base de ce groupe d’Etats-nations dans l’Union eurasienne sera une structure organisationelle politique avec une économie centralisée et des systèmes d’administration stratégique.

 

La création de l’Union eurasienne est l’objectif central du Mouvement International Eurasien, qui mettra en place, contrôlera et coordinera le processus eurasien pour parvenir à cet objectif. Le processus eurasien est l’évolution multidimentionnelle des institutions gouvernementales, économiques, politiques, industrielles et culturelles de chacun des Etats membres de la CEI, en une nouvelle formation politique et stratégique, l’Union eurasienne.

 

La création de cette union est d’une extrême importance, et pas seulement comme déclaration d’intention. Le cadre légal de l’Union doit être précédée par un processus prolongé et fondamental d’intégration. Avant que nous n’annoncions la mise en place d’une nouvelle puissance internationale, nous devons établir un système international flexible qui soutiendra le processus tout entier. Pour cela, nous utiliserons l’expérience de l’Union européenne.

 

La base du système administratif doit être internationale, ce qui est obligatoire pour pouvoir coordonner l’intégration. Cette intégration doit être dirigée par le Mouvement international eurasien et ses bureaux de représentation dans la CEI. Nous pouvons, de manière provisoire, l’appeler “Quartier Général du processus eurasien”. Toute activité doit être coordonnée en liaison avec des institutions  gouvernementales : Président, Administration présidentielle, Parlement, Gouvernement, la Communauté économique eurasienne, l’Accord public pour la Sécurité collective, etc.

 

Le but principal de ce QG est l’élaboration et la réalisation des projets d’intégration qui ne seront pas nécessairement considérés comme des initiatives officielles du gouvernement. Les initiatives peuvent être prises par une organisation sociale (telle que le Mouvement eurasien etc.) qui promeut de manière large ses programmes et est responsable devant tous les gouvernements étatiques et leurs services.

 

L’Union eurasienne n’est pas seulement une association comprenant différents Etats qui serait suivie par la dissolution des administrations nationales ; il n’est pas non plus une version élargie de la Fédération de Russie avec ses institutions gouvernementales, administratives et politiques. Il nécessite un système complètement neuf sur le plan administratif, l’évolution des anciennes structures et la création de nouvelles entités, raison pour laquelle les gouvernements de la CEI sont incapables de formuler les objectifs de l’intégration eurasienne.

 

La structure du Mouvement international eurasien inclut un système de fonds, de consortium, et de centres de recherches experts sur le plan stratégique et géopolitique, des banques et des systèmes d’actions, des entreprises de presse, des institutions scientifiques et d’éducation, qui sont les meilleurs vecteurs d’une accélération du progrès de l’intégration eurasienne. Le Mouvement international eurasien, essentiel pour la coordination de l’intégration doit différer qualitativement des partis politiques, des organisations sociales, des commissions intergouvernementales ou des communautés économiques les plus simples. Les éléments existants de l’administration politique peuvent coopérer avec le Mouvement, mais ne peuvent le remplacer. Les nouveaux défis demandent de nouveaux moyens, parce que le processus d’intégration exigera la transformation des éléments existants de l’Etat-nation et de la société.

 

 

FAITS MARQUANTS DE l’Eurasianisme

 

L’eurasianisme est un courant idéologique et politico-social, né dans le contexte de la première vague d’émigration russe, unifié par le concept de la culture russe en tant que phénomène non russe et présentant – parmi les cultures si variées du monde – une combinaison originale de traits occidentaux aussi bien qu’orientaux ; en conséquence, la culture russe appartient à la fois à l’Ouest et à l’Est et ne peut être réduite ni à l’une ni à l’autre.

 

Les fondateurs de l’eurasianisme sont :

N.S. Troubetskoy (1890-1938) – philologue et linguiste

P.N. Savitsky (1895-1965) - géographe, économiste

G.V. Florovsky (1893-1979) - historien de la culture, théologien

G.V. Vernadsky ( 1877-1973) - historien et géopoliticien

N.N. Alekseev – juriste et philosophe politique

V.N. Ilin – historien de la culture, universitaire et théologien.

 

La valeur principale de l’eurasianisme consistait en idées venues du fond de la tradition de l’Histoire et de l’Etat russe. L’eurasianisme considérait la culture russe, non pas comme une simple composante de la civilisation russe, mais comme une civilisation originale, rassemblant l’expérience de l’Ouest, certes, mais aussi – jusqu’à un certain point – de l’Est. Le peuple russe, dans cette perspective, ne doit pas être placé au nombre des peuples européens ou asiatiques. La Russie appartient à une communauté ethnique eurasienne complètement originale. Une telle originalité dans la culture et l’Etat russes (présentant en même temps des traits européens et asiatiques), définit également la voie unique empruntée historiquement par la Russie et son programme d’Etat-nation qui ne coïncide pas avec la tradition de l’Europe de l’Ouest.

 

Les fondations

 

Le concept de civilisation

 

La civilisation germano-latine créa son propre système de principes et de valeurs et assura sa promotion au rang de système universel. Ce système germano-latin fut imposé aux autres peuples et cultures par la force et la ruse. La colonisation spirituelle et matérielle du reste du monde par l’Occident est un phénomène négatif. Chaque peuple et chaque culture possède un droit intrinsèque : celui d’évoluer selon sa logique propre.

 

La Russie est une civilisation originale. Elle est appelée non seulement à contrer l’Occident, en protégeant complètement son chemin personnel, mais elle doit se placer à l’avant-garde d’autres peuples et d’autres pays sur la terre, défendant leurs libertés en tant que civilisations.

 

Critiques de la civilisation germano-latine

 

La civilisation occidentale a construit son propre système sur la base d’une sécularisation de la chrétienté occidentale (protestantisme), amenant avec elle des valeurs telles que l’individualisme, l’égoïsme, la compétition, le progrès technique, la consommation et l’exploitation économique. La civilisation germano-latine a fondé son droit à la domination générale, non pas à partir d’une grandeur spirituelle, mais sur une nouvelle force matérielle. La spiritualité et la force même des autres peuples sont évaluées uniquement sur la base de l’image de suprématie conquise par le rationalisme et le progrès technique.

 

Le facteur espace

 

Il n’y a pas de modèle unique de développement. La pluralité des paysages sur la terre produit une pluralité de cultures, chacune ayant ses cycles personnels, ses critères internes et sa logique. L’espace géographique possède une influence énorme (parfois décisive) sur la culture d’une nation et de son histoire. Chaque ethnie, pour autant qu’elle se développe à l’intérieur d’un environnement géographique, crée ses formes propres sur les plans national, éthique, juridique, linguistique, rituel, économique et politique. La place où chaque ethnie ou Etat se développe pré-détermine d’une manière essentielle le mode et le sens de ce développement. – à tel point que ces deux éléments ne font plus qu’un. Il est impossible de séparer l’Histoire des conditions géographiques et toute analyse des civilisations doit se faire selon un axe temporel (avant, après, développement, non développement etc), mais aussi selon un axe spatial (Est, Ouest, steppe, montagnes etc).

 

Aucun Etat, aucune région pris séparément, n’a le droit de se dire modèle du reste du monde. Chaque ethnie possède son propre schéma de développement, son temps propre, sa rationalité particulière et mérite d’être comprise et évaluée d’après ses critères internes particuliers.

 

Le climat de l’Europe, sa superficie géographique relativement limitée et l’influence de ses paysages ont généré les traits uniques de la civilisation européenne, où l’influence des forêts (Europe du Nord) et des côtes (Méditerranée) l’emporte. De la même manière, les différents paysages ont formé des types de civilisations différents : les steppes sans fin ont permis les empires nomades (depuis les Scythes jusqu’aux Turcs), des étendues infinies ont donné naissance à la civilisation chinoise, les îles montagneuses ont créé la civilisation japonaise et la combinaison des steppes et des forêts a vu se développer la civilisation eurasienne russe. La marque du paysage peut être perçue dans l’histoire tout entière et ne peut être ni séparée ni supprimée d’une quelconque ethnie.

 

L’Etat et la nation

 

Les premiers slavophiles russes au XIXe siècle (Khomyakov, Aksakov, Kirevsky) ont insisté sur le caractère proprement unique et original de la civilisation russe (slave, orthodoxe). Celle-ci doit être défendue, préservée et renforcée par rapport à l’Ouest d’une part, et par rapport au modernisme libéral (qui vient également de l’Ouest) d’autre part. Les slavophiles ont proclamé la valeur de la tradition, l’excellence des temps anciens et l’amour du passé de la Russie, mettant en garde contre les dangers inévitables du progrès et contre les trop nombreux aspects du schéma occidental qui se révèlent contraires à ceux de la Russie.

 

A partir de cette école, les eurasianistes héritèrent des positions des slavophiles et développèrent plus avant leurs idées dans le sens d’une évaluation positive des influences orientales. L’Empire moscovite représente le développement le plus avancé de l’Etat russe. L’idée nationale y a atteint un nouveau statut, après le refus de Moscou de reconnaître l’Union florentine (arrestation et exil du métropolite Isidore) et, après un déclin rapide, la Russie tsariste hérita du drapeau de l’empire orthodoxe.

 

 

Plateforme politique

 

La richesse et la prospérité, un Etat fort et une économie efficace, une armée puissante et le développement de la production doivent être les instruments qui permettront la réalisation de nos idéaux élevés. Le sens de l’Etat et de la Nation ne peuvent être perçus que par l’intermédiaire de l’existence d’une “idée première”. Le régime politique qui suppose l’établissement de cette “idée première” en tant que valeur suprême est appelée par les eurasianistes une “idéocratie” – du grec “idée” et “kratos” – du grec “pouvoir”. La Russie a toujours été considérée comme étant la Russie sacrée, un pouvoir (derzhava) remplissant sa propre mission historique qui est unique. Le point de vue eurasien doit également être une idée nationale de la Russie à venir, son “idée dominante”.

 

Le choix eurasien

 

La Russie eurasienne, étant l’expression d’un empire de steppes et de forêts aux dimensions d’un continent, a besoin de son propre schéma de force dominante. Ceci signifie, tout d’abord, une éthique de responsabilité collective, d’altruisme, d’aide réciproque, d’ascétisme, de volonté et de tenacité. Seul l’ensemble de ces qualities peut maintenir unie cette zone eurasienne, très étendue, peu peuplée, formée de terres de steppes et de forêts. La classe dirigeante de l’Eurasie fut fondée sur la base du collectivisme, de l’ascétisme, de vertus guerrières et d’une hiérarchie rigide.

 

La démocratie occidentale fut bâtie selon les conditions particulières de l’Athènes antique et au travers de l’Histoire millénaire de l’Angleterre. Cette démocratie reflète les traits uniques du développement européen. De ce fait, cette démocratie ne représente pas un modèle universel. Imiter la démocratie libérale européenne n’a aucun sens, et est impossible et dangereux pour l’Eurasie russe. La participation du peuple russe dans la vie politique doit être définie par un terme différent.  “Demotia”, du grec “demos”, peuple. Une telle participation ne rejette pas la hiérarchie et ne doit pas être formalisée dans des structures partisanes ou parlementaires. “Demotia” suppose un système de conseils régionaux, de gouvernements locaux ou de gouvernements nationaux (dans le cas des petites nations). Elle est développée sur la base d’auto-gouvernements, et sur un monde paysan. Un exemple de “demotia” est la nature élective de la hiérarchie d’église, votée par les paroissiens de la Russie moscovite.

 

 

Le travail de L.N. Goumilev sur le développement de la pensée eurasienne

 

Lev Nikolaevic Goumilev (1912-1922), fils du poète russe N. Gumilev et de la poétesse A. Akhmatova, était ethnographe, historien et philosophe. Il fut profondément influencé par un livre écrit par l’eurasianiste kalmouque, E. Khara-Vadan : “Gengis Khan, chef de guerre” et par les ouvrages de Savitsky. Dans ses propres oeuvres, Goumilev développa les thèses fondamentales de l’eurasianisme. Vers la fin de sa vie, il avait l’habitude de dire de lui-même qu’il était le “dernier des eurasianistes”.

 

Eléments de base de la théorie de Goumilev

 

1)   La théorie de “l’élan passionnel” [passionarnost'] comme développement de l’idéalisme eurasien.

2)   Cette théorie a pour essence, selon son propre point de vue, le fait que chaque ethnie dans sa formation naturelle, est soumise à l’influence des “forces énergétiques” nées dans le cosmos et causes de “l’effet passionnel” – activité et intensité extrêmes de la vie. Dans de telles conditions, les ethnies subissent une mutation génétique, qui mène à la naissance “d’êtres passionnés” – des individus doués d’un tempérament et d’un talent particuliers. Ces personnes deviennent les créateurs de nouvelles ethnies, cultures et Etats.

3)   Portant une attention scientifique à la proto-histoire des empires nomades de l’Est et à la découverte d’un héritage ethnique et culturel colossal venu des anciens autochtones, les peuples asiatiques qui avaient été conquis par la culture extraordinaire de l’ancienne époque, finirent par oublier la leur (Huns, Turcs, Mongols etc.).

 

Le développement d’une attitude pan-turque dans la théorie de la “complémentarité ethnique”.

 

Une ethnie, prise dans son sens général, est un ensemble d’individus quelconques, une collectivité : peuple ou population, nation, tribu ou encore clan familial fondés sur une destinée historique. “Nos grands ancêtres russes – écrit Goumilev – aux XVe, XVIe et XVIIe siècles, se mélangèrent facilement et rapidement avec les ethnies de la Volga, du Don, avec les Tartares Obi et avec les Bouriates qui, de leur côté, assimilèrent la culture russe. Les mêmes Grands Russes s’unirent aux Yakouts, absorbant leur identité et prenant progressivement des contacts amicaux avec les Cosaques et les Kalmouks. A travers les liens des mariages, ils coexistèrent passivement avec les Mongols de l’Asie centrale, tandis que les Mongols eux-mêmes et les Turcs fusionnèrent du XIVe au XVIe siècles avec les Russes de la Russie centrale. C’est pourquoi, l’histoire des Russes moscovites ne peut être comprise en dehors du cadre des contacts ethniques entre les Russes et les Tartares et l’histoire du continent eurasien.

 

 

L’apparition du néo-eurasianisme : contexte historique et social

 

La crise du paradigme soviétique

 

Dans le milieu des années 1980, la société soviétique commença à perdre le lien qui l’unissait à son environnement externe et sa propre personnalité, ainsi que sa capacité à les refléter de manière adéquate. Les modèles soviétiques d’auto-appréciation marquèrent leurs premières félures. La société soviétique avait perdu son sens de l’orientation. Chacun ressentait un besoin de changement, cependant ce besoin n’était encore qu’un sentiment confus – nul ne pouvant dire de quelle direction ce changement allait venir. A cette époque, une division assez peu convaincante commença de se former entre Soviétiques : les “forces du progrès” et les “forces réactionnaires”, les “réformistes” et les “conservateurs du passé” ou encore les “partisans des réformes” et les “ennemis des réformes”.

 

L’influence des modèles occidentaux

 

Dans une telle situation, le terme de “réforme” devint par lui-même synonyme de “démocracie libérale”. Une conclusion hâtive fut tirée du fait objectif de la crise du système soviétique pour ce qui concernait la supériorité du modèle occidental et la nécessité de le copier. En théorie, cela était tout sauf évident, étant donné que la “carte idéologique” présentait un système réellement bien plus diversifié que le dualisme primitif : socialisme contre capitalisme, le Pacte de Varsovie contre l’OTAN. Cependant, ce fut cette logique primitive qui l’emporta : les “partisans des réformes” firent une apologie inconditionnelle de l’Ouest, dont ils étaient prêts à adopter la structure et la logique, tandis que les “ennemis des réformes” ne surent être que les défenseurs inertes du vieux système soviétique, dont la structure et la logique pouvaient être de moins en moins défendues. A cause de ce manque d’équilibre, les réformistes pro-occidentaux avaient avec eux le potentiel d’énergie, de nouveauté, les espérances dans le changement, l’élan créatif, ainsi que les perspectives ; tandis que les “réactionnaires” n’avait rien qui leur restât que l’inertie, l’immobilisme, le recours à l’habitude et au déjà connu. Du fait de ces conditions psychologiques et esthétiques, une politique démocratique et libérale prit le dessus en Russie dans les années 1990, bien que le peuple russe ne fut pas autorisé à faire un choix clair et conscient.

 

L’effondrement de l’unité de l’Etat

 

Le résultat de ces “réformes” fut l’effondrement de l’unité de l’Etat soviétique et le commencement du déclin de la Russie comme héritier de l’URSS. La destruction du système soviétique et la “rationalisation” furent accompagnées par la création d’un nouveau système et d’une nouvelle rationalité conformes aux conditions nationales et historiques. Une attitude particulière vis à vis de la Russie et de son histoire nationale prévalut peu à peu : le passé, le présent et le futur de la Russie furent revus du point de vue occidental, évalués comme une histoire étrange, transcendante et bizarre (“ce pays” devint l’expression habituelle des réformateurs.) Ce n’était pas la vision russe de l’Occident, mais la vision occidentale de la Russie. Aucun étonnement qu’avec de telles conditions, l’adoption des schémas occidentaux dans la théorie des “réformateurs” soit invoquée non pas pour créer et renforcer la structure de l’unité nationale de l’Etat, mais plutôt pour détruire ce qui en restait. La destruction de l’Etat n’était pas un résultat anodin des “réformes” ! En fait, elle faisait partie de leurs objectifs stratégiques.

 

 

 

Naissance d’une opposition anti-occidentale (anti-libérale) dans l’environnement post-soviétique

 

Au cours des “réformes” et de leur approfondissement, le caractère inadéquat d’une réaction simpliste commença à devenir évident pour chacun. Au cours de cette période, (1989-90) la formation d’une opposition “nationale et patriotique” vit le jour dans laquelle s’alliaient une partie des “conservateurs soviétiques” (prêts pour une réflexion de base minimum) et des groupes de “réformateurs”, déçus  par les “réformes” ou “devenus conscients de la direction qu’elles prenaient contre l’Etat” ; vinrent se joindre à eux des groupes de représentants des mouvements patriotiques, qui s’étaient formés du temps de la Perestroïka et tentaient de donner corps à une forme de pouvoir d’Etat (derzhava) dans un contexte non communiste (orthodoxe et monarchiste, nationaliste etc). Après une longue période de gestation et malgré l’absence complète de soutien externe stratégique, intellectuel et matériel, le modèle conceptuel du patriotisme post-soviétique commença à prendre timidement tournure.

 

Le néo-eurasianisme

 

Le néo-eurasianisme prit son essor dans ce cadre en tant que phénomène idéologique et politique, se transformant en l’un des principaux courants de la conscience patriotique post-soviétique.

 

Les étapes du développement de l’idéologie eurasienne

 

Première étape (1985-90)

 

Elle inclut les séminaires et conférences animés par Alexandre Dugin à l’intention de groupes variés faisant partie du nouveau mouvement conservateur et patriotique. Cette étape constata que la critique du paradigme soviétique manquait d’un élément qualitatif du point de vue spirituel et national.

 

En 1989, les premières publications du journal Sovietskaya literatura (Littérature soviétique) virent le jour. Les livres de Dugin étaient publiés en Italie (“Continente Russia”) et en Espagne (“Rusia Misterio de Eurasia” – La Russie, mystère de l’Eurasie”, 1990).

 

En 1990, une édition russe du livre de René Guénon “La Crise du monde moderne”, avec des commentaires de Dugin fut disponible. On put également se procurer l’ouvrage de Dugin “Les chemins de l’absolu” (Puti Absoljuta), qui exposait les fondations de la philosophie traditionaliste.

 

Dans ces années, l’eurasianisme montra des caractéristiques “de droite, conservatrice”, proches du traditionalisme historique, fondées sur une vision orthodoxe et monarchiste, “ethno-pochevennik” (c’est-à-dire liées aux idées de la terre et du pays) et qui critiquaient fortement les idéologies “de gauche”.

 

Deuxième étape (1991-93)

 

La révision de l’anti-communisme commença à cette période, typique de la première étape du néo-eurasianisme ; de la même manière, on vit apparaître la réévaluation de la période soviétique dans un esprit de “bolchévisme national” et d’”eurasianisme de gauche”.

 

 

L’Eurasianisme devient populaire au sein de l’opposition et parmi les intellectuels.

 

Sur la base d’une affinité terminologique, A. Sakharov commença à parler de l’Eurasie, bien que ce fût dans un contexte uniquement géographique et nullement politique et géopolitique (et sans jamais utiliser le terme d’eurasianisme, ayant été un atlantiste convaincu dans le passé).

 

En 1992-93, la première édition de la Revue “Eléments eurasiens” fut publiée. Il y eut des conférences sur des thèmes géopolitiques et sur la fondation de l’eurasianisme dans des établissements d’enseignement supérieur et dans des universités, ainsi que de nombreuses traductions, des articles et des séminaires.

 

Troisième étape (1994-98): développement théorique de l’orthodoxie néo-eurasienne

 

Principales oeuvres de Dugin :

"Mysteries of Eurasia" [Misterii Evrazii] (1996), (Les Mystères de l’Eurasie)

"Conspirology" [Konspirologija] (1994), (Les conspirations)

"Foundations of geopolitics" [Osnovy Geopolitiki] (1996), (Les fondations de la géopolitique)

"The Conservative Revolution " [Konservativnaja revoljutsija] (1994), (La révolution conservatrice)

"Knight Templars of the Proletariat" [Tampliery proletariata] (1997) (Les Templiers du prolétariat.

 

Les oeuvres de Troubestskoy, Vernadsky, Alekseev et Savitsky furent publiées par l’éditeur Agraf. (1995-98).

 

Le site internet “Arctogaia” (1996) www.arctogaia.com fut créé.

 

Des références directes et indirectes à l’eurasianisme parurent dans les programmes du PCFR (Parti communiste de la Fédération de Russie), du PLD (Parti liberal-démocratique) et du NRD (Nouvelle Russie démocratique) – c’est-à-dire les partis de gauche, de la droite et du centre). Un nombre croissant de publications sur les thématiques eurasiennes fut publié et de nombreux journaux eurasiens sortirent des presses.

 

Cette période connut également la critique de l’eurasiasnime par les nationalistes russes, les religieux fondamentalistes, les communistes orthodoxes et les libéraux.

 

Il y eut aussi des manifestations d’une version “adoucie” et académique de l’eurasianisme (Professeur A.S. Panarn, F. Girenok et d’autres), apportant des éléments du paradigme des illuministes qui est rejeté par l’orthodoxie eurasienne.

 

L’eurasianisme commença à évoluer vers des positions plus radicalement anti-occidentales, anti-libérales et anti-globalistes.

 

En 1996, l’université eurasienne fut inaugurée à Astan au Kazakhstan et dédiée à L. Goumilev

 

Quatrième étape (1998-2001)

 

Cette étape correspond à une “désidentification” progressive du néo-eurasianisme vis-à-vis de ses manifestations politico-culturelles collatérales et du parti lui-même - ce fut un tournant vers une direction autonome (Arctogaia, nouvelle université, “irruption” (Vtorzhenie) en dehors de l’opposition et des mouvements de l’extrême gauche aussi bien que de l’extrême droite.

 

L’apologie du “vieux rite” (staroobrjadchestvo) fut lancée.

 

Un virage fut effectué vers des positions politiques centristes, qui soutenaient Primakov en sa qualité de nouveau Premier ministre.

 

Dugin fut nommé conseiller à la Douma de G.N. Seleznev.

 

La brochure eurasienne “Notre chemin” (Nash put') (1998) fut publiée.

De même que “l’Irruption eurasienne” " [Evraziikoe Vtorzhenie], supplément du journal “Zavtra”.

 

De là s’ensuivit une distanciation plus importante avec l’opposition et un virage qui tendait à rapprocher l’eurasianisme des positions gouvernementales.

 

Furent élaborés des travaux de recherche théorique ; on vit la publication de la “Chose russe” (Russkaja vesch') (2001), des publications dans Nezavisimaja Gazeta, et les Moskovski Novosti, des émissions radio dont le thème était "Finis Mundi" (les limites du monde), sur Radio 101 ; enfin, des émissions de radio sur des sujets de géopolitique et sur le néo-eurasianisme sur la radio Svobodnaja Rossija (1998-2000).

 

Cinquième étape (2001-2002)

 

Le mouvement politique et social pan-russe “Eurasie”, avec des positions de centre radical fut créé, avec la déclaration de soutien total du Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine (21 avril 2001).

 

Le directeur du Centre spirituel du Mouvement des musulmans russes, le Sheik-ul-islam Talgat Tadjuddin, accepta les idées eurasiennes.

 

Le journal Evraziizkoe obozrenie (Revue eurasienne) fut publié.

 

Des penseurs juifs de l’eurasianisme (A. Eskin, A. Shmulevi, V. Bukarsky) se firent connaître.

 

Lancement du site internet du mouvement Eurasia, evrazia.org.

 

Une conférence fut tenue sur le thème "Menace islamiste ou menace sur l’Islam ?”

 

Cette période vit aussi l’intervention par H.A. Noukhaev, un théoricien tchéchène sur le sujet de l’“eurasianisme islamique” ["Vedeno ou Washington ?", Moscou, 2001].

 

Des livres écrits par E. Khara-Davan et Ya Bromberg (2002) furent disponibles.

 

La transformation du Mouvement pan-russe Eurasia en un véritable parti politique débuta en 2002.

 

Sixième étape (2003-2004)

 

Le parti politique “Mouvement international eurasien” fut créé le 20 novembre 2003, sous la direction de A. Dugin.

 

 

Les positions philosophiques de base du néo-eurasianisme

 

Sur un plan théorique, le néo-eurasianisme consiste dans la renaissance des principes classiques du mouvement dans une phase qualitativement nouvelle et dans la transformation de ces mêmes principes en véritables fondements d’un programme idéologique et politique et une vision du monde.

 

L’héritage des eurasianistes classiques fut accepté comme une vision du monde fondamentale pour le combat idéal (politique) de la période post-soviétique, en tant que plate-forme spirituelle et politique d’un “patriotisme total”. Les néo-eurasianistes adoptèrent les positions élémentaires de l’eurasianisme classique, prenant en compte le vaste cadre philosophique, culturel et politique des idées du XXe siècle. Chacune des positions principales de l’eurasianisme classique (cf. le chapitre : Les fondations de l’eurasianisme classiques) étant revivifiées au sein de leur propre développement conceptuel.

 

Le concept de civilisation

 

La critique de la société bourgeoise occidentale par les tenants de la gauche (sociale) fut superposée à la critique de cette même société par la droite (civilisationnelle).

 

L’idée eurasienne en ce qui concerne le “rejet de l’ouest” fut renforcée par les attaques fortes de la critique contre l’Occident, émises par les mêmes représentants occidentaux qui n’approuvent pas la logique de son développement (au moins dans les derniers siècles). Les Eurasiens n’adoptèrent que graduellement – depuis la fin des années 1980 jusqu’à environ 1995 – l’idée d’une fusion possible des concepts les plus différents (et parfois politiquement contradictoires) opposant les caractéristiques “normales” de la civilisation occidentale.

 

La critique de la civilisation germano-latine fut particulièrement soulignée, fondée sur une analyse prioritaire du monde anglo-saxon et des Etats-Unis. Dans l’esprit de la révolution conservatrice allemande et de la nouvelle législation européenne, le “monde occidental” est divisé en une composante atlantique (les Etats-Unis, l’Angleterre) et une composante continentale européenne (ou, pour mieux dire) une composante germano-latine. L’Europe continentale est vue ici comme un phénomène neutre qui doit être intégré – sous certaines conditions – dans le projet eurasien.

 

Le facteur spatial

 

Le néo-eurasianisme est mû par l’idée d’une révision complète de l’histoire de la philosophie, selon les positions spatiales. Nous avons ici un trait d’union entre différents modèles d’une vision cyclique de l’histoire, de Danilevsky à Spengler, de Toynbee à Goumilev.

 

Un tel principe trouve son expression la plus fertile dans la philosophie traditionnelle, qui nie les idées d’évolution et de progrès et fonde cette négation sur des calculs métaphysiques détaillés. De là, la théorie traditionnelle des “cycles cosmiques” et des “multiples états de l’être”, de la “géographie sacrée” etc. Les principes de base de cette théorie des cycles sont illustrés en détail dans les ouvrages de René Guénon (et ses successeurs G. Georgel, T. Burckhardt, M. Eliade, A. Corbin). Une réhabilitation complète a été donnée à ce concept de la “société traditionnelle”, qui ne connaissait pas l’histoire ou la reconnaissait seulement en tant que rites et mythes de “l’éternel retour”. L’histoire de la Russie n’est pas vue simplement comme l’un des nombreux développements locaux, mais comme l’avant-garde d’un système spatial (l’Est), opposé à un système “temporel” (l’Ouest).

 

L’Etat et la nation

 

La dialectique de l’Histoire nationale a été conduite à sa formulation finale et dogmatique, incluant le paradigme historico-philosophique du national-bolchévisme (N. Oustryalov) et son interprétation (M. Agourski). Le schéma en est le suivant

·      La période de Kiev, comme l’annonce d’une mission nationale à venir (IXe au XIIIe siècles)

·      L’invasion mongole et tartare, comme missile lancé contre les tendances européennes nivelantes. La poussée géopolitique et administrative de la Horde fut transmise aux Russes, la division établie entre les Russes occidentaux et les Russes orientaux, la différentiation acquise entre les cultures, et la formation commencée d’un Etat grand-russe, sur la base des “Russes orientaux” sous le contôle de la Horde (XIII-XVe siècles).

·      L’Empire moscovite comme sommet de la mission religieuse et nationale de la Russie (Troisième Rome) – (XVe siècle – fin du XVIIe siècle).

·      La loi romano-germanique (Romanov), qui fut l’effondrement de l’unité nationale

·      La séparation entre l’élite pro-occidentale et les masses russes (fin du XVIIe – début du XXe siècle.)

·      La période soviétique, revanche des masses nationales, la période du “Messie soviétique”, le rétablissement des paramètres de base de la ligne principale moscovite (XXe siècle).

·      Une phase de troubles, qui doit se terminer par une nouvelle poussée eurasienne (début du XXIe siècle).

 

 

Plate-forme politique

 

Le néo-eurasianisme adopte la méthodologie de l’école de Wilfred Pareto, avance suivant la logique de la réhabilitation de la “hiérarchie organique”, rassemble les idées de Nietzsche, développe la doctrine de “l’ontologie du pouvoir” et du concept chrétien-orthodoxe du pouvoir en tant que “kat’echon”. L’idée de “l’élite” complète la création des traditionalistes européens et des recherches sur le système des castes dans les anciennes sociétés, sur leur ontologie et sur la sociologie (René Guénon, J. Evola, J. Dumézil, L. Dumont) se trouvent à la racine du concept de “nouvelle élite eurasienne.

 

La thèse de la “demotia” est la continuation des théories politiques de la “démocratie organique” de J.J. Rousseau à C. Schmitt, J. Freund, A. de Benoist et A. Mueller van der Bruck. La définition du concept eurasien de la démocratie (demotia) est la “participation de l’ethnie à sa propre destinée”.

 

La thèse de “l’idéocratie” donne son fondement à l’appel des idées de la révolution conservatrice et de la “Troisième voie”, à la lumière de l’expérience des idéocraties soviétique, israélienne et islamique ; elle analyse les raisons de leur échec historique.

 

La réflexion sur le contenu qualitatif de l’idéocratie au XXe siècle apporte une critique importante de la période soviétique (suprématie des concepts quantitatifs et des théories séculières, poids disproportionné d’une conception des classes.

 

Les éléments suivants contribuent au développement des idées des eurasianistes classiques :

 

1)   La philosophie du traditionalisme (Guénon, Evola, Burkhart, Corbin), l’idée d’un déclin radical du “monde moderne” et les enseignements profonds de la tradition. Le concept global du “monde moderne” (catégorie négative) comme antithèse du “monde de la tradition (catégorie positive) donne à la civilisation occidentale un caractère fondamentalement métaphysique, qui définit le contenu eschatologique, dangereux et fatal des processus intellectuels, technologiques, politiques et économiques qui prennent leur origine dans l’Occident. Les intuitions des conservateurs russes, depuis les slavophiles jusqu’aux eurasianistes classiques, sont complétées par une base théorique fondamentale (voir A. Dugin “La patrie absolue” [Absoljutnaja Rodina], Moscou 1999; "La fin du monde” [Konets Sveta], Moscou 1997 ; "Julius Evola et le conservatisme russe", Rome 1997).

 

2)   Les investigations sur les origines du sacré (M. Eliade, K.G. Jung, C. Levi-Strauss), représentations de la conscience archaïque comme manifestation de l’ensemble paradigmatique des racines de la culture. La réduction de la pensée multidimensionelle de l’homme à propos de la culture; des anciennes strates psychiques, où des fragments de rites initiatiques archaïques, des mythes et des ensembles sacrés originaux se trouvent regroupés. L’interprétation du contenu de la culture rationnelle au travers d’un système de croyances anciennes et précédant la rationalité. (A. Dugin “L’évolution de la fondation paradigmatique de la science”) [Evoljutsija paradigmal'nyh osnovanij nauki], Moscou 2002).

 

3)   La recherche des paradigmes symboliques à l’intérieur de la matrice espace-temps, que l’on trouve dans les rites, le langage, les symboles (H. Wirth, investigations paléo-épigraphiques). Cette tentative de créer les fondements de la linguistique (svitic-illique), de l’épigraphie (runologie), la mythologie, le folklore, les rituels et les monuments aux époques anciennes, nous aide à reconstruire une carte originale du “concept sacré du monde”, commune à tous les anciens peuples eurasiens et l’existence de racines communes (voir A. Dugin “La Théorie hyperboréale”, [Giperborejskaja Teorija], Moscou 1993.

 

4)   Une nouvelle analyse du développement des idées géopolitiques de l’Occident (Mackinder, Haushofer, Lohhausen, Spykman, Brzeszinski, Thiriart et d’autres) a fait évoluer la géopolitique de manière significative. Le rôle des constantes géopolitiques dans l’histoire du XXe siècle apparaît assez clairement pour donner à la géopolitique un statut de discipline autonome. A l’intérieur du cadre géopolitique, les concepts d’eurasianisme et d’Eurasie ont acquis une signification nouvelle et plus large. Pendant quelque temps, l’eurasianisme au sens géopolitique, a commencé à signifier la configuration continentale d’un bloc stratégique (existant ou potentiel), créé autour de la Russie ou de sa base élargie et antagoniste (activement ou non) et les initiatives stratégiques par rapport au pôle opposé – l’atlantisme, à la tête duquel, au milieu du XXe siècle, les Etats-Unis d’Amérique remplacèrent l’Angleterre.

 

5)   La philosophie et les idées politiques des classiques russes de l’eurasianisme, dans cette situation, ont été considérées comme étant l’expression la plus importante et puissante (accomplissement) de l’eurasianisme dans sa signification stratégique et géopolitique. Grâce aux recherches géopolitiques (A. Dugin “Fondations de la géopolitique” [Osnovye geopolitiki], Moscou 1997), le néo-eurasianisme devint un phénomène à la méthodologie évoluée. Spécialement aboutie est la signification de la paire formée par la terre et la mer (selon Carl Schmitt), et la projection de cette paire sur la pluralité du phénomène – de l’histoire des religions jusqu’à l’économie.

 

6)   La recherche d’une alternative globale au mondialisme (globalisme) comme phénomène ultra-moderne résumant tout ce qui est mal considéré par l’eurasianisme (et le néo-eurasianisme). L’eurasianisme, dans un sens plus large, devient la plate-forme conceptuelle de l’anti-globalisation, ou une alternative au globalisme. L’eurasianisme unit toutes les tendances contemporaines qui refusent au globalisme tout contenu objectif (voire même positif). Il donne au mouvement anti-globaliste un caractère nouveau de généralisation doctrinale.

 

7)    L’assimilation de l’ancienne critique de la “nouvelle gauche” dans une “interprétation de gauche conservatrice” (réflexion sur l’héritage de M. Foucault, G. Deleuze, A. Artaud, G. Debord) ; assimilation  de la pensée critique des opposants au système bourgeois occidental depuis les positions anarchistes, néo-marxistes etc. Ce pôle conceptuel représente une nouvelle étape du développement des tendances de “l’aile gauche” (nationale-bolchévique) qui existent parmi les premiers eurasianistes (Suvchinskij, Karsavin, Efron), ainsi qu’une méthode pour la compréhension mutuelle avec la partie “aile gauche” des anti-globalistes.

 

8)   L’économie de la “Troisième voie”, “l’autarcie des Grands espaces”, l’application de modèles économiques hétérodoxes à la réalité post-soviétique, l’application de la théorie de F. List aux “unions douanières” ; l’actualisation, enfin, des théories de S. Gesell. F. Schumpeter, F. Leroux, et les nouvelles idées eurasiennes de Keynes.