L'Eurasie au dessus de tout

L'Eurasie au dessus de tout

Manifeste du mouvement eurasiste

Crise des idées dans la Russie contemporaine

Dans notre société russe [Rossiski, faisant référence à la citoyenneté de la Fédération Russe, NDT] – particulièrement dans la sphère sociale et politique – au début du nouveau millénaire, une déficience d’idée se fait douloureusement sentir. La majorité des gens – y compris les gouverneurs, les politiciens, les scientifiques, les travailleurs – sont guidés dans leur vie et dans leurs choix politiques par un ensemble de facteurs momentanés, de préoccupations fortuites, d’appels éphémères et transitoires. Nous perdons rapidement toute représentation générale concernant le sens de la vie, la logique de l’histoire, les problèmes de l’homme, le destin du monde. Les choix existentiels et sociaux ont été remplacés par la publicité agressive. A la place d’une idéologie politique responsable et signifiante il y a quelques public relations efficaces (ou inefficaces). Le résultat du combat des idées est décidé par le volume des investissements en publicité. Les dramatiques chocs entre les peuples, les cultures et les religions sont transformés en spectacles inspirés par les sociétés multinationales et les trusts pétroliers. Le sang humain, la vie humaine, l’esprit humain sont devenus des abstractions statistiques, au mieux des objets de consommation – des figures de rhétorique démagogiques avec des lamentations humanitaires mielleuses et ambiguës dissimulant un double jeu.

A la place de l’uniformité totalitaire, une indifférence totalitaire est venue. La majorité des partis politiques et des mouvements sociaux constitués poursuivent des objectifs tactiques. On ne peut trouver presque nulle part une idéologie explicite et conséquente capable d’arracher l’homme à cet état d’indifférence somnolente, de rendre la vie digne d’être vécue.

L’américanisme et le besoin d’une alternative

Le projet le plus rigoureux – mais en même temps le plus néfaste – d’une vision mondiale a été formulé par des libéraux conséquents. Ces forces, géopolitiquement orientées vers les Etats-Unis et l’Occident, prennent pour modèle la politique américaine, l’économie américaine, le type américain de société, la culture américaine, l’idéal de civilisation américain. Cette vision a sa dignité – son projet est logique et cohérent, sa théorie et sa pratique sont liées. Mais tout aussi logiques sont le mal mondial, la mort, la dissolution, la division et la perte d’unicité organique. Les libéraux disent un « oui » décisif à ce « monde uniforme », confus, vain, individualiste, oligarchique, privé de toute morale, de repères spirituels et traditionnels, que les Etats-Unis – superpuissance mondiale – tentent de créer à une échelle planétaire, interprétant leur supériorité technologique et économique comme un mandat pour une hégémonie à titre privé sur une échelle planétaire. Cette américanisation de la Russie, du monde entier, cette soumission servile au nouveau gendarme du monde – gendarme du spectacle – ne plaît manifestement pas à beaucoup de gens. Mais cette opposition apparaît le plus souvent seulement émotionnelle, fragmentaire, inconsistante. Les gens et des mouvements sociaux-politiques entiers se satisfont inertiellement des vieilles choses, des résidus d’époques différentes, plus harmonieuses et plus nobles, ayant au moins quelque chose de différent du tsunami atlantiste qui balaye les restes de notre propre civilisation russe. L’hostilité envers le mode de vie américain, envers le fameux « Nouvel Ordre Mondial », est une qualité pleinement positive, qui devrait être saluée avec faveur partout où nous la rencontrons. Mais ce n’est pas suffisant. Une contre-proposition active, une alternative réaliste, concrète et efficace nous est indispensable. Les conditions au début de ce millénaire sont considérablement nouvelles. Et ceux qui veulent un avenir différent, plutôt que le chaos contrôlé et la désintégration brillante qui nous sont imposés par l’Amérique, sont obligés non seulement de dire « non » mais aussi de formuler, de proposer, de démontrer et de défendre un Plan de civilisation différent, notre Plan.

La vision du monde la plus massive et la plus généralisante constituant une telle alternative à l’hégémonie américaine, au monde unipolaire, au triomphe de l’Occident, est l’eurasisme.

Les pères fondateurs de l’eurasisme

Historiquement, l’eurasisme a existé pendant vingt ans en tant que tentative d’interpréter la logique du développement socio-politique, culturel et géopolitique de la Russie comme processus uniforme et essentiellement continu depuis la Russie de Kiev jusqu’à l’URSS. Les eurasistes ont détecté derrière la dialectique du destin national du peuple russe et de l’Etat russe une mission historique unitaire, diversement exprimée à ses différents stades. Une thèse majeure des premiers eurasistes (le comte N.S. Trubetskoy, P. Savitsky) était celle-ci : « l’Occident contre l’humanité », c’est-à-dire les nations de la complexité florissante mondiale des cultures et des civilisations contre le modèle occidental unitaire et totalitaire, contre la domination économique, politique et culturelle de l’Occident. La Russie (l’ancienne tout comme la monarchique-orthodoxe et la soviétique) voyait les eurasistes comme un bastion et une avant-garde de ce processus mondial, comme une citadelle de liberté contre l’hégémonie unidimensionnelle d’une excroissance irréligieuse, sécularisée, pragmatique et égotiste – la civilisation occidentale, prétendant à la suprématie et à la domination juridique, matérielle et spirituelle. Sur cette base les eurasistes acceptaient l’URSS comme une forme nouvelle – paradoxale – du chemin originel de la Russie. Désapprouvant l’athéisme et le matérialisme dans la sphère culturelle, ils reconnaissaient derrière la façade externe du communisme les traits nationaux archaïques, derrière la Russie soviétique l’héritage géopolitique légitime de la mission russe.

Etant des patriotes russes conséquents et convaincus, les eurasistes parvinrent à la conclusion de l’insuffisance des formes traditionnelles, dans lesquelles l’Idée Nationale était enfermée en Russie pendant les derniers siècles. La devise des Romanov – « Orthodoxie, Autocratie, Nationalité » – n’était qu’une façade conservatrice dissimulant un contenu très moderne, essentiellement copié sur l’Europe. Le patriotisme soviétique exprimait l’idée nationale en termes de classe, qui ne saisissaient pas l’essence du problème de civilisation, ni ne reconnaissaient le sens de la mission historique de la Russie. Le nationalisme séculier des Romanov n’était qu’une imitation formelle des régimes européens. Le patriotisme soviétique ignorait l’élément national, brisait le lien avec les traditions, écartait la Croyance des pères.

Une nouvelle approche synthétique était indispensable. Une telle approche était aussi développée à l’intérieur du cadre de la philosophie eurasiste, dans les mouvements sociaux et politiques des eurasistes. Les pères fondateurs de l’eurasisme donnèrent pour la première fois la plus haute estimation possible de la nature multi-nationale (impériale) de l’Etat russe. Ils étaient particulièrement attentifs au facteur turc. Le rôle de l’héritage de Gengis-Khan, administrateur de l’Etat tatar assimilé par Moscou au 16ème siècle, était vu comme un tournant décisif de la Russie vers l’Orient, vers ses origines, vers ses propres valeurs. Dans la légende orthodoxe cette époque est justement liée à la Russie Sacrée, à la transformation de Moscou en Troisième Rome (après la chute de Tsargrad et la fin de l’Empire byzantin). La mission de la Russie Sacrée s’exprimait dans l’auto-affirmation de sa propre culture eurasienne, d’un système social original, distinct dans ses traits principaux de la voie suivie par les pays de l’Occident catholique romain et protestant.

La Russie était conçue par les eurasistes comme l’avant-garde de l’Orient contre l’Occident, comme une ligne de défense avancée de la société traditionnelle contre la société moderne, séculière, ordinaire, rationalisée. Mais dans le combat séculaire pour la préservation d’un « ego » culturel, à la différence d’autres sociétés orientales, la Russie acquit activement l’expérience de l’Occident, adopta les techniques que ce dernier appliquait, emprunta certaines méthodes – mais chaque fois avec le seul but de confronter l’Occident à ses propres armes. En langage moderne, cela s’appelle la « modernisation sans occidentalisation ». Par conséquent la Russie réussit pendant plus longtemps que d’autres sociétés traditionnelles à contenir efficacement la pression de l’Occident.

De cela les eurasistes tirèrent une conclusion majeure : la Russie n’a pas seulement besoin de retrouver ses racines, mais de combiner un nouveau départ conservateur et révolutionnaire. La Russie doit activement se moderniser, se développer, s’ouvrir partiellement au monde environnant, mais strictement sauver et renforcer sa propre identité. C’est pourquoi certains donnèrent le nom de « Bolcheviks orthodoxes » aux eurasistes.

Hélas, historiquement, ce mouvement remarquable ne fut pas apprécié à sa juste mesure. Les succès impressionnants de l’idéologie marxiste rendirent la perspective révolutionnaire- conservatrice raffinée des eurasistes inefficace et superflue. A la fin des années 30, l’impulsion originale du mouvement eurasiste, à la fois en Russie et parmi l’émigration russe, avait définitivement disparu.

La course de relais de l’idée eurasiste fut dorénavant poursuivie moins par les politiciens et les idéologues que par les scientifiques (avant tout par le grand historien russe Lev Gumiliev).

Le néo-eurasisme

Les événements dramatiques des dernières décennies en Russie, dans le monde entier, ont à nouveau rendu les idées eurasistes urgentes et essentielles. L’Occident faisait face à son plus sérieux adversaire civilisationnel – l’URSS. L’idéologie marxiste perdit soudain son attrait. Mais une nouvelle alternative générale à l’occidentalisme et au libéralisme (qui sont aujourd’hui incarnés dans leur plein développement par les Etats-Unis et la civilisation américaine – devant laquelle même les Européens, les grand-parents du monstre mondial, commencent à se sentir nerveux) n’est pas encore apparue.

Et ne pouvait pas apparaître de toute façon.

Les fragments séparés – le nationalisme pré-révolutionnaire, le cléricalisme, le soviétisme inertiel ou l’imagination extravagante de l’écologisme et du gauchisme – ne pouvaient pas se transformer en un front uni. Il n’y avait pas de vision du monde commune, pas de dénominateur commun. Le rapprochement occasionnel des positions des adversaires au mondialisme et à l’américanisation ne provoqua pas une véritable synthèse des visions du monde.

A ce moment les esprits les plus attentifs, les cœurs les plus purs et les âmes les plus ardentes se convertirent aussi à l’héritage eurasiste. Ils discernèrent en lui une source salvatrice, un germe de cette doctrine, de cette idéologie, qui répondait idéalement aux nécessités du présent moment historique.

Le néo-eurasisme commença à se construire comme un courant social, philosophique, scientifique, géopolitique, culturel à partir de la fin des années 80. Se distançant de l’héritage des eurasistes russes des années 20 et 30, ayant incorporé l’expérience spirituelle de la tradition staroobryad [les « Vieux Croyants »] de l’Orthodoxie russe, enrichis par la critique sociale des populistes et des socialistes russes, ayant interprété d’une manière nouvelle les réalisations de la période soviétique de l’histoire intérieure, et ayant en même temps maîtrisé la philosophie du traditionalisme et de la révolution conservatrice, la méthodologie géopolitique et les doctrines révolutionnaires originales de la « nouvelle gauche » (c’est-à-dire de ces courants intellectuels qui furent élaborés en Occident mais dirigés contre la logique dominante de son développement), le néo-eurasisme devint la plate-forme de vision du monde la plus sérieuse dans la société russe moderne, acquérant la forme d’une école scientifique complète, d’un système d’initiatives sociales et culturelles.

Le néo-eurasisme posa les bases de la géopolitique russe moderne, obtint un fort potentiel personnel de supporters dans les structures, les ministères et les services gouvernementaux liés au secteur militaire, fondant sur la géopolitique eurasiste de nombreux projets internationaux, militaires et économiques opérationnels sérieux.

Le néo-eurasisme influença la politologie, la sociologie et la philosophie intérieures modernes. 

Le néo-eurasisme devint graduellement un instrument conceptuel approprié pour les monopoles d’Etat russes requérant un modèle stratégique pour le développement d’une stratégie à long terme d’activité macro-économique, dépendant non pas de processus politiques momentanés mais de constantes historiques, géographiques et civilisationnelles.

Le néo-eurasisme posa les bases de tout l’ensemble des courants d’avant-garde dans la culture de la jeunesse, donna une impulsion vivifiante au développement créatif et passionné de toute la direction de l’art.

Le néo-eurasisme eut un fort impact sur les partis et les mouvements politiques de la Russie moderne – nous trouvons d’importants emprunts à l’arsenal idéologique néo-eurasiste dans les programmes du parti « Unité », du KPFR [parti communiste], de l’OVR [Otetchestvo-Vsyo Rossiya], du LDPR [parti libéral-démocrate], du mouvement « Russie » et d’une série de mouvements et de partis plus petits. Cependant ces emprunts restent fragmentaires, combinés avec d’autres éléments parfois hétérogènes et même contradictoires (tout cela fait des grands partis russes des formations plutôt tactiques et désidéologisées créées pour résoudre des problèmes politiques locaux et à court terme).

Le nouveau sujet social et politique

Le temps est venu de faire le pas suivant, d’ajouter à l’eurasisme une dimension sociale et politique concrète. L’idéologie néo-eurasiste dépassa graduellement le niveau de la pure élaboration théorique. Le nouveau gouvernement de la Russie est sérieusement engagé dans la résolution de problèmes stratégiques posés au pays, et n’est manifestement pas satisfait des recettes primitives et destructrices imposées par l’Occident et par les porteurs de l’influence occidentale en Russie : il a besoin d’une vision du monde et d’un appui social et politique. Les autorités présentes, leur spécificité, leur image sociale, diffèrent considérablement de la période post-soviétique et des temps de la passion immodérée pour le libéralisme sauvage. Une nouvelle vision-du-monde d’Etat, un nouveau modèle domestique de correction politique ont mûri. Cela est attesté par la recherche persévérante d’une Idée Nationale, [recherche] dans laquelle les autorités sont aujourd’hui engagées.

Si le système politique habituel est adapté à la résolution de problèmes momentanés (bien que nous le considérons comme inadéquat même au sens pragmatique étroit), il n’a absolument aucune chance dans une perspective à moyen terme (sans parler d’une vision stratégique à long terme), et requiert une réforme radicale. Le système existant évolua durant le processus de démolition du modèle soviétique et de son remplacement par un système pro-occidental libéral-démocrate. Mais aujourd’hui ni l’ancien système ni le nouveau ne sont acceptables pour la Russie. Et en outre, ce dernier est inapproprié face à la situation très difficile à laquelle le pays est confronté – une conséquence des politiques ridicules appliquées précédemment. Nous avons besoin de partis et de mouvements basés sur une vision du monde, reflétant les intérêts de couches concrètes de la population, enracinés dans le peuple, l’éduquant, l’instruisant et le défendant, au lieu d’exploiter la confiance (et la naïveté) des masses au bénéfice d’intérêts privés ou corporatifs.

Toutes les conditions sont réunies pour l’apparition d’un mouvement eurasiste rigoureux dans la nouvelle Russie. Et ceux qui sont à l’origine du néo-eurasisme, qui ont formé les prémisses et les bases théoriques de la géopolitique russe, de la philosophie eurasiste, de la politologie et de la sociologie révolutionnaire-conservatrice, qui ont passé des années à combattre pour les idéaux de l’Eurasie, pour la renaissance du peuple russe et de notre Grande Puissance – ceux-là ont pris la décision de créer le nouveau mouvement social et politique « EURASIA ».

Qui seront les participants au mouvement « Eurasia » ?

A qui adressons-nous cet appel à entrer dans notre mouvement et à le soutenir? A chaque Russe, instruit ou non, influent ou le dernier des déshérités, au travailleur et au chef d’entreprise, au nécessiteux et au riche, au Russe et au Tatar, à l’orthodoxe et au juif, au conservateur et au moderniste, à l’étudiant et au défenseur de la loi, au soldat et au tisserand, au gouverneur et au musicien de rock. Mais seulement à celui qui aime la Russie, qui ne peut pas penser à lui-même sans penser à elle, qui a compris la nécessité d’un effort rigoureux, lequel est requis de la part de nous tous afin que notre pays et notre peuple restent sur la carte du nouveau millénaire (dont on tente obstinément de nous effacer), à celui qui veut, qui veut passionnément, que nous restaurions finalement une grande puissance, que nous éliminions de notre organisme commun son excroissance parasite, que nous déchirions le voile de la confusion mentale, que nous affirmions au-dessus du pays, du continent, du monde, nos idéaux russes solaires – les idéaux de Liberté, d’Equité, de Fidélité aux Origines.

Centre radical

Le mouvement « Eurasia » est fondé sur les principes du centre radical. Nous ne sommes ni de gauche ni de droite, nous ne sommes ni servilement obéissants devant les autorités, ni des opposants à tout prix, aboyant pour n’importe quelle raison. Nous comprenons que l’autorité actuelle de Russie, le président de la Russie Vladimir Vladimirovich Putin, a besoin d’aide, d’appui, de solidarité, de cohésion. Mais en même temps, une soumission aveugle aux dirigeants, une connivence inconditionnelle avec l’autorité seulement parce qu’elle est l’autorité, ne sont aujourd’hui pas moins (sinon plus) pernicieuses que la rébellion directe. Nous sommes des centristes dans la mesure où le Président et l’autorité agissent pour le salut du Pouvoir, pour le salut du peuple. Et non d’une manière populiste et transitoire, mais dans une perspective à moyen et à long terme. Là encore nous soutiendrons le Président avec ferveur, radicalement, jusqu’à la fin, ne prêtant pas attention aux petites erreurs, acceptant toutes les épreuves et difficultés, qui surgiront quand la Russie s’attaquera sérieusement au défi de se sauver elle-même et de sauver le reste du monde de la terrible menace venant de l’Occident. Un appui plus centriste que notre appui inconditionnel et total à la construction patriotique du pouvoir par les autorités (même dans ses actions les plus impopulaires) ne peut pas exister. Ainsi, nos précurseurs, les eurasistes, soutenaient les régimes orthodoxe fondamentaliste et marxiste détestés parce qu’ils s’opposaient à l’Occident – le pire des maux. Mais notre centrisme radical n’est pas passif. Nous comprenons clairement que l’autorité présente en Russie, en accord avec la logique des choses, n’a pas (et ne peut pas avoir) de représentation claire des objectifs stratégiques fondamentaux, du dramatique problème philosophique et spirituel qui a surgi avec le nouveau millénaire – terrible, risqué, menaçant, problématique, incompris pendant des siècles de batailles sanglantes et de souffrances cruelles … En ce sens l’autorité est aujourd’hui perdue et a besoin d’aide, d’orientations, de repères, indiquant ce qui est la tâche du peuple, son aspect patriotique le plus actif, volontariste, ingénieux, idéaliste (cela aussi doit se rassembler dans notre mouvement, pour en devenir le cœur).

Ici les rôles sont inversés, et maintenant c’est au tour des autorités d’écouter la voix de « Eurasia ». Cette voix n’est pas le servile « oui, monsieur ? » des partis condescendants et artificiels, bon pour les écrans de télévision. C’est le puissant appel radical de la terre, la voix des générations, le cri venant des profondeurs de notre esprit et de notre sang.

Priorités du mouvement « Eurasia »

Notre mouvement répand les principes eurasistes à tous les niveaux de la vie.

Dans le domaine religieux cela signifie un dialogue solide et constructif entre les croyances traditionnelles de la Russie – Orthodoxie, Islam, Judaïsme, Bouddhisme. Les branches eurasiennes des grandes religions ont de nombreuses différences avec les formes qui se sont enracinées dans d’autres régions du monde. Il existe un style commun de vision spirituelle eurasiste, qui, cependant, n’élimine aucunement les différences et l’originalité des principes. C’est une base sérieuse et positive pour le rapprochement, le respect mutuel, la compréhension mutuelle. Grâce à l’approche eurasiste des questions religieuses, beaucoup de frictions inter-confessionnelles peuvent être dépassées ou arrangées.

Dans le domaine de la politique étrangère, l’eurasisme implique un vaste processus d’intégration stratégique. La reconstruction sur la base de la CEI [Communauté des Etats Indépendants] d’une solide Union Eurasienne (analogue à l’URSS, sur de nouvelles bases idéologiques, économiques et administratives).

L’intégration stratégique des espaces internes de la CEI doit aussi être graduellement étendue à des régions plus vastes – aux pays de l’axe Moscou-Téhéran-Delhi-Pékin. Une politique eurasiste est requise pour ouvrir à la Russie un accès aux mers chaudes, non par la guerre et les souffrances, mais par la paix et la coopération franche et amicale.

La politique eurasiste envers l’Occident implique des relations prioritaires avec les pays européens. L’Europe moderne – à la différence de l’époque où agissaient les pères fondateurs de l’eurasisme – ne représente plus du tout la source du « mal mondial ». Les rapides événements politiques du 20ème siècle ont contribué à transférer ce titre douteux toujours plus vers l’ouest – vers l’Amérique du Nord, vers les Etats-Unis. Par conséquent, au stade actuel la Russie peut trouver en Europe des partenaires stratégiques intéressés à la renaissance de son ancienne puissance politique. La Russie eurasiste doit jouer le rôle de sauveur de l’Europe, mais cette fois-ci vis-à-vis de l’occupation américaine – politique, économique et culturelle.

La politique eurasiste de la Russie est dirigée vers une coopération active avec les pays de la région pacifique, avant tout avec le Japon. Les géants économiques de cette région doivent voir dans la politique eurasiste de la Russie la manifestation d’un système politique indépendant et aussi d’un potentiel stratégique de ressources et de nouveaux marchés.

A un niveau planétaire, l’eurasisme signifie une opposition active et universelle à la mondialisation, s’identifie au « mouvement anti-mondialiste ». L’eurasisme défend la complexité florissante des peuples, des religions et des nations. Toutes les tendances anti-mondialistes sont intrinsèquement « eurasistes ».

Nous sommes des supporters conséquents du « fédéralisme eurasiste ». Cela signifie une combinaison d’unité stratégique et d’autonomies ethno-culturelles (dans des domaines économiques précis). Différents modes de vie à un niveau local en combinaison avec un strict centralisme dans les moments essentiels, concernant les intérêts de l’Etat.

Nous devons faire renaître les traditions du peuple russe, contribuer au rétablissement de la croissance démographique russe. Et le plus important, réveiller dans le peuple sa spiritualité, sa morale, ses hauts idéaux, son vivant et fervent patriotisme, organiques et intrinsèques. Sans la renaissance prioritaire de la nation russe, le projet eurasiste n’a aucune chance de devenir une réalité. La compréhension de ce fait est la base de notre vision du monde.

Dans le domaine social, l’eurasisme signifie la priorité du principe public sur le principe individuel, la subordination des modèles économiques aux problèmes stratégiques et sociaux. Toute l’histoire économique de l’Eurasie prouve que le développement des mécanismes économiques se passe ici en accord avec une logique alternative aux modèles libéraux-capitalistes et individualistes de profit personnel qui se sont développés en Occident sur la base de l’éthique protestante. La logique libérale de gestion est étrangère à l’Eurasie, et en dépit d’énormes efforts il n’y a aucun moyen de briser ce trait profondément enraciné de notre peuple. Le principe collectif et communautaire de direction de l’économie, la contribution du critère d’« équité » au processus de distribution – tout cela représente un trait solide de notre histoire économique. L’eurasisme insiste sur une prise en compte et une évaluation positives de cette circonstance, et sur cette base il donne la préférence aux modèles économiques à orientation sociale.

L’eurasisme implique une réévaluation positive de ce qui est archaïque, ancien. Il se réfère avec ferveur au passé, au monde de la Tradition. Le développement du processus culturel est vu par l’eurasisme comme une nouvelle référence à l’archaïque, l’insertion de motifs culturels originels dans la production de formes modernes. Dans ce domaine la priorité est à nouveau donnée aux motifs nationaux, aux sources de créativité nationale, à la continuation et à la renaissance des traditions.

Etant une vision du monde nouvelle et fraîche, venant juste de prendre une forme définie, l’eurasisme s’adresse en premier à la jeunesse, aux gens dont la conscience n’a pas encore été corrompue par le passage irréfléchi d’un modèle idéologique inadéquat à un autre encore moins adéquat. L’idéal eurasiste est celui de l’homme fort, passionné, sain et beau (à la place du bâtard toxicomane des discothèques mondialistes, du gangster à moitié idiot ou de la traînée). Nous sommes en mesure de proposer des valeurs différentes, positives, à la place du culte de la laideur et de la pathologie, à la place du cynisme et de la servilité devant les maîtres du spectacle mondial. Nous ne permettrons pas que nos enfants soient tués, violés, dégradés, pervertis, vendus ou enchaînés à une seringue. Notre idéal est une célébration de la santé physique et spirituelle, de la force et du mérite, de la foi et de l’honneur.

Le mouvement « Eurasia » ne pourra devenir une réalité que si beaucoup de gens se rassemblent autour de lui. Un homme seul peut faire beaucoup, mais comme l’a dit Lautréamont, tout le monde devrait faire de la poésie !

A une échelle encore plus grande – tout le monde doit se préoccuper de l’Eurasie !

A présent tout dépend de nos efforts. Personne ne promet que des victoires, davantage de bien-être ou une participation à l’industrie du divertissement. Devant nous se trouve un travail quotidien laborieux, souvent invisible de l’extérieur.

Devant nous se trouvent des difficultés et des batailles, des pertes et du travail, mais devant nous se trouve aussi du plaisir et un Grand Dessein !

Alexandre G. Dugin, 1er janvier 2001.