Les structures anthropologiques de l'imaginaire chez les Celtes et les Germains.
Onglets principaux
Les structures anthropologiques de l'imaginaire
chez les Celtes et les Germains
ECOLE D'ANTHROPOLOGIE 1 PLACE D'IÉNA 75116 PARIS
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Thèse
Disciple de Gaston Bachelard, Gilbert Durand propose une véritable "métaphysique de l'imaginaire", non plus fondée, comme celle d'Aristote ou de Descartes, sur la raison ou la logique, mais sur cette "liberté imaginaire", créatrice des structures fondamentales de l'être humain.
A travers ses multiples ouvrages, Gilbert Durand montre comment la pensée occidentale a constamment rabaissé, voire nié, la fonction d'imagination chez l'homme, la taxant de "folle du logis" ou de "maîtresse d'erreur et de fausseté" et ce, au profit de la raison. Encore aujourd'hui, pour la plupart des penseurs occidentaux, l'imaginaire est conçu comme un mode "primitif" de connaissance.
L'imaginaire est pour Gilbert Durand l'indicateur général de la science de l'homme, l'étalon or de l'hominisation. "C'est par lui que commence l'homme. Chez l'animal, les images primitives définissent et permettent l'équilibre de l'espèce. Mais, chez l'homme, ça se complexifie et ça éclate: les archétypes humains sont des réceptacles d'images possibles. Ils se dessinent en creux, et ces creux sont prêts à recevoir des images plus ou moins spécifiées par les cultures, les moments historiques, etc..." (G. Durand, "Le cordonnier de l'imaginaire", Le Point n°634, novembre 1984, page 187.)
La "révolution anthropologique" réalisée par Gilbert Durand consiste à affirmer que l'imaginaire est l'ensemble des images et des relations d'images constituant le capital pensée d'Homo Sapiens et qu'il est le dénominateur fondamental où viennent se ranger toutes les procédures de la pensée humaine. Cette démarche originale met l'accent plus sur la pérennité de l'espèce humaine que sur son processus évolutif.
Le mérite de la thèse présentée par notre élève Pascal Hachet, "Les structures anthropologiques de l'imaginaire chez les Celtes et les Germains", est double.
D'une part, ce travail représente le premier essai d'application de la méthodologie de Gilbert Durand à un véritable travail de recherche à l'École d'Anthropologie. D'autre part, bien que d'autres travaux d'application au monde celte ou germain aient déjà vu le jour, il s'agit du premier essai comparatif entre ces deux mentalités.
En ce qui concerne la méthodologie, cette thèse procède d'un travail statistique minutieux, bien que, par l'étendue du sujet, pas totalement exhaustif mais suffisant pour permettre l'élaboration de tableaux comparatifs sur le fonctionnement de chaque composante symbolique des régimes diurne et nocturne de l'imaginaire chez les Celtes et les Germains.
Grâce au travail de Pascal Hachet, nous sommes en présence des premiers "mandalas", c'est-à-dire des premiers psycho-cosmo-grammes du fonctionnement mental de ces deux peuples cousins mais combien différents.
Il s'agit d'un véritable outil d'orientation pour ceux qui s'intéresseront à mieux comprendre ces deux peuples qui ont façonné une partie de l'Europe. La survivance de ces imaginaires modèle encore aujourd'hui une partie du comportement européen, au-delà des frontières et des ethnies.
Il est frappant de constater le lien entre l'imaginaire solaire antithétique des Germains, incapable d'intégrer la dimension d'intimité et de synthèse et les idéologies de pureté de la race et de purification ethnique qui ont envahi le XXème siècle. Nous le savons aujourd'hui, elles ne sont pas le fait d'un ou de quelques fous mais correspondent à des réalités profondes d'ordre spirituel et culturel.
La marginalisation de l'imaginaire celte à l'aube du christianisme réduit son influence aux comportements mystiques des ordres religieux, à l'architecture abbatiale et, jusqu'à nos jours, à un profond courant littéraire humaniste. Cette marginalisation se manifeste encore dans la hantise des peuples d'Occident d'appliquer avec fermeté leurs décisions, ce qui les réduit parfois à constater leur impuissance et à ne réagir avec la force du désespoir que lorsqu'ils se sentent irrémédiablement menacés.
A l'heure des interrogations sur l'avenir de l'Europe, et sur les fondements culturels et spirituels dont elle a besoin pour créer le ciment de nouvelles cohérences, la lecture attentive de l'itinéraire dans l'histoire des imaginaires celte et germain pourrait être révélatrice et nous permettre de comprendre les sources profondes d'événements, apparemment tragiques ou incompréhensibles, que nous vivons à la fin du XXème siècle.
F.S. Directeur de Thèse
Cette recherche est extraite d'une thèse soutenue à l'École d'Anthropologie de Paris, "Les structures de l'imaginaire chez les Germains et les Celtes", effectuée sous la direction de Fernand SCHWARZ. Nous lui dédions la présente étude. Nos remerciements vont également à M. le Dr. Bernard HUET, directeur de l'École d'Anthropologie de Paris, qui a permis cette publication synthétique de ma thèse, ainsi qu'au Pr. Gilbert DURAND, sans la méthodologie géniale duquel ce travail n'aurait pu voir le jour.
- de fusion,
- de synthèse des opposés.
DURAND (Gilbert), Les structures anthropologiques de l'imaginaire,
Dunod, Paris, 1969, p. 70. |
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Les constellations de symboles de cette partie de l'imaginaire universel, où apparaît entièrement l'imaginaire germanique, se divisera donc tout naturellement en deux grandes parties antithétiques, la première étant consacrée au fond de ténèbres sur lequel se découpe l'éclat victorieux de la lumière, la seconde manifestant la reconquête antithétique et méthodique des valorisations négatives de la première; autant de trajets anthropologiques à explorer.
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Les symboles animaliers dans l'imaginaire des Germains.
MABIRE (Jean), Les dieux maudits (récit de mythologie celtique),
Copernic, Paris, 1978, p. 39. |
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Le monde, selon les Germains, fut fondé par un crime. Tout commence par un meurtre. La légende ne dit pas l'origine de la querelle. Peu importe. Le fait est là, dans son impitoyable brutalité: Odin, aidé par ses frèresVili et Vé, tue le géant Ymir. De ce cadavre, va naître la planète Terre. Tout, de l'immense corps abattu par les trois dieux, doit servir. Le sol est formé de sa chair, l'océan de son sang, les montagnes de ses os, les forêts de ses cheveux, les cailloux de ses dents.
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Les symboles animaliers dans l'imaginaire germanique.
les symboles de l'obscurité dans l'imaginaire des Germains.
DURAND (Gilbert), Opus cité, p. 99.
TACITE, Germania,
Les Belles Lettres, Paris, 1949, XLIII. Cité par REYNOLD (Gonzague de), Le monde barbare II. Les Germains,
Plon, Paris, 1953, p. 285. |
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La nuit est sacralisée: la Nôtt scandinave, traînée dans un char par des coursiers sombres, n'est pas une vaine allégorie mais une redoutable réalité mythique.
Cette noirceur de la nuit fut utilisée à des fins guerrières, puisque l'on peut lire dans la Germania de Tacite, à propos des Haries, établis sur le cours supérieur de l'Oder: Ils sont farouches et ils ajoutent à leur sauvagerie naturelle en empruntant les secours de l'art et du temps qu'il fait: leurs boucliers sont noirs, leurs corps barbouillés. Pour combattre, ils choisissent les nuits noires, et, par horreur seule et l'ombre qui enveloppe cette armée funèbre, ils portent l'épouvante chez l'ennemi. Personne n'est capable de soutenir cette vue étrange et comme infernale, car dans toute bataille les yeux sont les premiers vaincus .
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GILBERT (Max), Les Normands et l'influence nordique en France,
2ème partie, les dieux normands, L. Durand et fils, Fécamp, 1946, p. 42. |
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D'autre part, chez les Germains, pour qui le rituel de mise à mort était la pendaison, les déesses funéraires hélaient les morts avec une corde (Ibid, p. 118.). Un héros germanique s'écriera: Les lacets de Héla vinrent étroitement s'attacher à mes flancs; je voulais les rompre, mais ils étaient trop forts. Libre, il est si facile de marcher.
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Les symboles nyctomorphes dans l'imaginaire germanique.
Les symboles de chute dans l'imaginaire des Germains.
Les symboles catamorphes dans l'imaginaire germanique.
Les symboles d'ascension dans l'imaginaire des Germains.
2) le trajet lumineux-céleste,
3) le trajet séparateur (diaïrétique)
2) des ténèbres,
3) de l'animalité féroce et lourde (thériomorphisme).
(MABIRE (Jean), Opus cit, p. 37.).
CLIVAGE FONCTIONNEL DE LA ROYAUTÉ (magique, sacerdotal juridique).
ELIADE (Mircêa),
Traité d'histoire des religions, Payot, Paris, 1964, p. 99. |
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Spatialement, Odin est en pleine contemplation monarchique: quand il ne chevauche pas, Odin revient dans son palais d'Asaheim, et s'assoit sur son haut-siège, Hlidskjalf, pour contempler l'univers. Ainsi, chaque jour, au-dessus de la création, dominant la voûte du ciel, Odin observe ce que deviennent les dieux et les hommes. Rien n'échappe à son oeil unique et à ses oreilles attentives. La moindre parole, le moindre geste, le moindre souffle de vent, tout parvient jusqu'à ce trône invisible.
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Les symboles ascensionnels dans l'imaginaire germanique.
Les symboles de la lumière dans l'imaginaire des Germains.
Les symboles spectaculaires dans l'imaginaire germanique.
Les symboles de la séparation armée dans l'imaginaire des Germains.
(Ibid, p. 178.).
La parole sert ici à différencier antithétiquement du chaos dévorant du sens, et donne le pouvoir (ou plutôt la possibilité) de représenter ce chaos sans être mangé par lui. Ayant acquis la science parlée et écrite des runes, Odin peut, par un surinvestissement tout-puissant de la pensée, agir sur les choses mentalement, magiquement; ce recours à la toute-puissance de la pensée étant déterminé à la fois par le contexte de la lutte contre l'informe dévorant et par le fait qu'il fournit une arme efficace car complètement opposée à ce qu'elle combat.
COHAT (Yves), Les Vikings rois des mers,
Gallimard, Paris, 1987, p. 56. |
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Au niveau de l'architecture militaire réelle, exemple fameux, situé dans le Nord-Est du Jutland, à quelques kilomètres de la ville de Hobrol, le camp de Firkat est l'une des quatre forteresses danoises connus. Il était édifié en un lieu stratégique, sur un promontoire dominant le fleuve Cnsild, qui donne accès à la mer. La garnison cultivait les champs alentour et enterrait ses morts dans des cimetières proches des remparts .
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Pourquoi une codification minutieuse qui vise à parer toute éventualité, pourquoi une passion de l'ordre, de l'organisation, pour faire échec aux dangers du chaos, puisque le destin de tout et de tous est déjà écrit? Défenses inutiles?
Les symboles diaïrétiques (= de séparation armée) dans l'imaginaire germanique.
Nocturne, utilise une logique normalement Diurne:
Revue Ogam - Tradition celtique, Rennes,
10, 13, p. 130. |
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Les celtes, aussi bien en Irlande que sur le continent, coupaient la tête de l'ennemi vaincu en combat singulier. Cette coutume a une base religieuse car, suivant le dieu médecin Diancecht, la résurrection ou la guérison sont possibles tant que les organes essentiels (cerveau, moelle épinière, membranes du cerveau) ne sont pas atteints.
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MARKALE (Jean), L'épopée celtique d'Islande,
Payot, Paris, 1971, p. 70. |
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C'est la cervelle du roi Leinster qui, traitée ainsi, sert à un guerrier du Connaught à blesser mortellement à la tête le roi Conchobar ( Ibid, pp. 129-138.): Conall défie les autres guerriers de le combattre alors qu'il a une arme redoutable à sa disposition, la cervelle de Mesgegra, c'est-à-dire une balle de fronde pétrie avec la cervelle du malheureux roi. Personne n'ose contredire Conall. Et Conall remet la cervelle de Mesgegra sur l'étagère où elle est habituellement. Cêt, guerrier de Connaught, s'empare de la cervelle et cherche une occasion de tuerConchobar. Cêt lui lance la cervelle et celle-ci entre aux deux tiers dans la tête de Conchobar. Le médecinFingen vient à son chevet: Si on ôte cette pierre, dit-il, tu mourras aussitôt. Si on ne l'ôte pas, je te guérirai, mais tu resteras difforme. Conchobar mourut en coupant du bois. Sous la violence de cet effort, la cervelle deMesgrega jaillit de sa tête et sa propre cervelle se répandit.
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Des divans profonds comme des tombeaux" Baudelaire
Le premier mouvement de l'imaginaire celtique est l'euphémisme.
MARKALE (Jean), La tradition celtique en Bretagne armoricaine,
Payot, Paris, 1978, p. 143. |
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Un conte folklorique, constellant avec le symbole intimiste du fruit, surabondant dans l'Autre Monde, et le symbole de la digestion qui est aussi une procréation, fait état d'une jeune fille qui, après avoir mangé une étrange pomme rouge obtenue par magie, donne le jour à un garçon de trente-sept couleurs!
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VRIES (Jan de), La religion des Celtes,
Payot, Paris, 1977, p. 146. |
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Chez les Celtes, le nombre des déesses-mères est étonnant.
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MARKALE (Jean), La femme celte,
Payot, Paris, 1979, p.57. |
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La société celtique, présentant une foule d'archaïsmes, dûs en grande partie à l'apport autochtone recueilli et intégré par les Celtes à l'arrivée en Occident, est à mi-chemin entre les sociétés de type "paternaliste", agricoles et structurées sur la possession de la terre par le Père de Famille, et les sociétés dites de "matriarcat", dans lesquelles la Mère, ou la Femme en général, est encore le lien fondamental de la famille et le symbole de la fécondité.
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SYNTHESE:
2) gemmes-couleurs
3) maternité de la terre-morts-fertilité,
qui annoncent une formidable représentation des symboles de l'intimité dans l'imaginaire des Celtes.
GREGOIRE (François), L'au-delà,
P.U.F., Paris, 1956, p.23. |
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Selon Grégoire (39), de toute conception de l'au-delà se dégagent trois enseignements principaux:
1) l'universalité, dès les temps préhistoriques et dans les civilisations les plus arriérées, de la croyance en un monde d'après-mort;
2) le caractère extrêmement matériel et concret des représentations de ce monde;
3) l'impression que la croyance en un au-delà constitue une sorte de réaction vitale, neutralisant la notion de disparition et la transmuant en source d'action supplémentaire pour les vivants: cérémonial de sépulture, recherche des "responsables", offrandes, cultes des ancêtres, préparation rituelle au passage dans l'autre monde, nécromancie... il y a là toute une activité tendant à atténuer, chez le vivant, la notion d'un "arrêt d'être" définitif.
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RENAN (Ernest), "Poésie des races celtiques", in Essais de morale et de critique,
Paris, 1860. |
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Renan fit remarquer qu'un des traits par lesquels les races celtiques frappèrent le plus les Romains fut la précision de leurs idées sur la vie future, leur penchant pour le suicide, les prêts et les contrats qu'ils signaient en vue de l'autre monde. Les peuples plus légers du Midi voyaient avec terreur dans cette assurance le fait d'une race mystérieuse, ayant le sens de l'avenir et le secret de la mort.
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LE BRAZ (Anatole), La légende de la mort chez les Bretons armoricains,
Laffite reprints, 1987, pp. XVIII-XIX. |
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En effet, aussi loin qu'on puisse remonter dans l'histoire des Celtes, la préoccupation de l'au-delà semble avoir exercé sur leur imagination un prestige vraiment singulier. César nous montre les Gaulois se réclamant, sur la foi des druides, de la paternité du dieu de la mort et faisant profession d'en être tous descendus. De fait, il y a fondamentalement une indistinction vie / mort chez les Celtes, ce qui est, vu le contexte symbolique et structural, fondamental, centralement intimiste et, partant, euphémisant.
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DEROLEZ (R. L. M.), Les dieux et la religion des Germains,
Payot, Paris, 1962, p. 59. |
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Selon Derolez, cette continuité vie / mort ou monde des vivants / Autre Monde pourrait être d'étiologie socio-géographique:
Originalité religieuse de la civilisation celtique en mettant l'accent sur deux éléments concordants. D'une part, une indéniable capacité mystique. Aucun autre peuple n'a d'avantage vécu en symbiose avec l'au-delà. Aucun autre peuple n'a conçu à un degré égal cet au-delà comme un ensemble de tribus à peine différentes des tribus humaines et avec lesquelles il fallait établir des rapports de voisinage, hostile ou fraternel. D'autre part, ce grand fait de géographie humaine: la Celtie était à peine sur la voie de l'urbanisation. Son habitat, l'un des plus denses d'Europe, était dispersé. Le gros de la population vivait dans des petits hameaux à même la campagne, voire en plein bois, en contact direct avec le royaume des esprits, comme aux temps mésolithiques. Ainsi s'explique cette notion de voisinage direct des êtres surnaturels conçus comme des collectivités très proches. |
Durand n'a-t-il pas fait mention, quant à la constitution des structures anthropologiques de l'imaginaire, d'une inter-genèse entre le sujet et l'environnement, entre le sujet et l'outil, l'objet?
Pour conclure ce symbole spécifique de la mort intimiste, valorisée positivement:
La dominante euphémisante de l'imaginaire celtique est directement en rapport avec le fait que cette civilisation a développé un système d'échanges cordiaux et continus, équilibrés, entre les vivants et les morts, chacun prenant légitimement des êtres, des trésors dans le monde de l'autre, au sein d'une harmonieuse et douce confiance mutuelle.
Les symboles de l'intimité dans l'imaginaire celtique.
Les symboles cycliques dans l'imaginaire des Celtes.
Du redoublement temporel à la répétition temporelle (cyclicité), il n'y a qu'un pas, que franchit allègrement l'imaginaire des Celtes.
Les symboles cycliques dans l'imaginaire celtique.
Les symboles rythmiques et le mythe du progrès dans l'imaginaire celtique.
Arbre et Autre Monde, via certaines pratiques funéraires.
BACHELARD (Jean), L'eau et les rêves,
J. Corti, Paris, 1942, p. 98. |
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Les Celtes usaient de divers et étranges moyens vis-à-vis des dépouilles humaines pour les faire disparaître. Dans tel pays, on les brûlait, et l'arbre natif fournissait le bois du bûcher; dans tel autre, l'arbre de mort, creusé par la hache, servait de cercueil à son propriétaire. Ce cercueil, on l'enfouissait sous terre, à moins qu'on le livrât au courant du fleuve.
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BENEDEIT (Gérard), Le voyage de Saint-Brendan,
10-18, Paris, 1984, p. 51. |
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Ainsi dans la "Navigation de Brendan", sur une étendue de terre haute et lumineuse, se dressait un arbre blanc comme le marbre, aux larges feuilles tachetées de rouge et de blanc. L'arbre s'élevait à perte de vue jusque dans les nuages. De la cime jusqu'au sol, il était recouvert d'un branchage touffu et de grande envergure, qui projetait au loin son ombre et masquait la lumière du jour. Les branches étaient toutes couvertes d'oiseaux blancs: personne n'en avait jamais vu d'aussi beaux.
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Les symboles rythmiques et le mythe du progrès dans l'imaginaire celtique.
Confessons le pressentiment, ou l'intuition, d'une prégnance du régime de l'antithèse au sein des au-delà européens; mais pas d'une exclusivité bien sûr, ce que démentirait au moins le cas des Celtes.
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Dominante en régime de l'antithèse de l'au-delà = les images de la mort sont mal endiguées, mal contrebalancées par les images de la vie. "Ratés" dans la fonction de l'imaginaire.
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Dominante en régime de l'euphémisme de l'au-delà = les images de la mort sont bien endiguées, bien contrebalancées par les images de la vie. La fonction de l'imaginaire atteint correctement le but de maîtrise du temps et de la mort qu'elle s'assigne.
Leur logique de l'imaginaire, complètement antithétique, faisait d'eux, dans le réel, des individus méfiants, soucieux avant tout de leur survie, organisant tout leur socius en vue de leur auto-conservation. Contre eux, les Romains eurent affaire à partie autrement coriace qu'avec les confus Celtes.
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- l'asservissement, la mise en esclavage des populations d'Amérique Centrale puis du Sud par les Espagnols et les Portugais. Il est vrai que la croix évangélisatrice étant alliée à l'épée ("la cruz y la espalda"), cette agression se solda non pas par un génocide mais par une "exploitation de la ressource humaine". La composante euphémisante (mystique) du christianisme, dite à la base religion d'amour, empêcha l'extermination en grande série des peuples envahis.
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- la saisie en 1492 par Isabelle la Catholique, au nom d'un décret qu'on jugerait écrit par un nazi, des biens des 150.000 Juifs d'Espagne, assortie bien sûr de leur expulsion, pour fonder...la Sainte Inquisition espagnole, cette institution fonctionnant elle aussi gràce à un clivage entre des individus dits diaboliques, sorcières et autres pauvres bougres, hérétiques réels ou fabriqués pour les besoins de la cause, et des individus pieux, bons Chrétiens (tout comme il y aura pendant la Seconde Guerre Mondiale, sous l'Occupation, des "bons Français"...).
Le savoir médiéval fut cloisonné antithétiquement dans l'aristotélisme, en un système parfaitement clos et parfaitement inhumain, sans dialectisation possible, de la connaissance. Ce musellement intellectuel fut assuré par l'Église Catholique et ses dogmes hyper-rigides et méfiants.
DUBOIS (Jacques), Les ordres monastiques,
P.U.F., Paris, 1991, pp. 17-21. |
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L'imaginaire celtique est sans doute, dans sa fusion, avec la partie mystique du christianisme, à l'origine de l'apparition des ordres contemplatifs, d'ailleurs surgis en Irlande, terre qui avait été hors d'atteinte de l'influence romaine et qui fut la dernière contrée à population celtique à être évangélisée. Accord entre la mystique chrétienne et la mentalité celtique, mystique à l'état pur.
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Cette suprématie de logique de l'imaginaire se cliva de la logique celtique euphémisante, qui passa en courant souterrain ou fut affaiblie littérairement, où sa survivance fut pur effet narratif.
C'est en Allemagne, dans le dernier tiers du XVIIIème siècle, que la mentalité germanique antithétique réapparaîtra avec force: le mouvement à la base littéraire du "Sturm und Drang" ("Ouragan et emportement", ou encore "Tempête et assaut") appelant à une abolition des limites de la condition humaine, sur fond d'orgueil, de démesure intellectuelle, sentimentale et belliqueuse, ressuscita véritablement, tout en se disant clairement nationaliste, typiquement allemand et voulant combattre le classicisme français, dans les consciences la mentalité des anciens Germains.
COLONOMOS (Fanny), MARSAULT (Élisabeth), Comme des jongleurs insensibles,
(Les psychanalystes allemands et la montée du fachisme), Frénésie éditions, Paris, 1988, p. 146. |
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Le panthéon germanique, mais aussi les rites que lui rendaient les Germains: tout comme Odin se sacrifia par la pendaison et la perte d'un oeil pour acquérir la science des runes, la mise en scène des autodafés de livres jugés maudits de mai 1933 fut celle d'un sacrifice expiatoire.
Les incendies eurent lieu le soir, la tombée de la nuit accentuant le caractère religieux de la cérémonie, dont les étudiants, dans l'habit d'apparat de leurs corporations, étaient les grands prêtres.
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La dernière guerre vue à travers les affiches, Atlas, Paris, 1978, p. 156.
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Tout comme les Germains conçurent des monstres cosmiques désireux de détruire l'univers, les nazis érigèrent l'ethnie judaïque en entité démoniaque, moins qu'humaine, animale, dite impure et sale et sombre comme l'étaient mythiquement le loup Fenrir et le serpent marin de Midgard, ennemis jurés des dieux et des hommes. Par ailleurs, tout comme Fenrir, le Juif était perçu comme dévorant, avide de corrompre la pureté raciale des peuples, surtout du peuple allemand envisagé comme pur et élu par antithèse, et tout comme le serpent du Midgard, qui enserrait la terre par le fond des océans, le Juif était représenté, ce que l'on voit très bien sur certaines affiches de propagande nazie, comme enserrant la planète par le pouvoir de l'argent.
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Hitler s'inspira de cet apocryphe pour écrire certains chapitres de Mein Kampf (Mon Combat). Dans cet épais ouvrage, destiné à flatter démagogiquement les bas instincts, on apprend que tous les maux de l'Allemagne et de l'humanité sont dus aux Juifs, présentés de manière caricaturale, nette: des êtres méchants et impurs. Face à cette représentation, Hitleropposa les Aryens, antithétiquement blonds, purs et moralement droits.
Puisqu'il fallut isoler le mal du bien avant de le détruire, les nazis conçurent des espaces séparateurs, isolateurs: les camps de concentration et d'extermination.
Si les précédentes exterminations ou persécutions (dont le génocide des Peaux-Rouges) perpétrées par l'Occident antithétique avaient été commises comme automatiquement, sans état d'âme particulier, le génocide du peuple juif et autres "races inférieures" par les nazis fut asservi à une donnée essentielle de l'imaginaire germanique.
Sentant que l'issue de la Seconde Guerre Mondiale tournerait à l'avantage des forces alliées, l'Axe, sous le commandement d'Hitler, prit l'option suicidaire de combattre jusqu'au dernier des soldats allemands, en une débâcle qui amena le suicide du Führer lui-même dans un bunker, le 30 avril 1945.
Ce fonctionnement (et la mentalité antithétique correspondante) est caractérisé par une distinction entre une valeur "pure", l'argent, et des valeurs "impures", les étrangers, les pauvres et autres exclus.
Pour les modernes Germains que nous sommes, être pur c'est posséder de l'argent, et donc, signes extérieurs de richesse obligent, une maison (en tant que propriétaire bien sûr) et une voiture à grosse cylindrée. Ce dernier objet fait partie de l'armement défensif, et offensif sans une certaine mesure, du Siegfried moderne.
Tout comme le cheval à huit pattes du dieu Odin et le char de Thor tiré par des chèvres magiques, l'automobile permet d'aller combattre, c'est-à-dire de travailler "pour-faire-gagner-l'entreprise-dans-la-guerre-économique-mondiale", plus vite. Les grands mouvements faits à grande vitesse dans l'espace sont l'indice d'une fièvre conquérante.
Les forts non nul besoin d'assistance. Dans cette logique, en effet, pourquoi soigner un malade mental, puisqu'il est incurable, improductif et donc inutile, à la charge de la collectivité: déshonneur suprême?
Tout simplement en raison de la logique qui règle notre imaginaire: clivage entre le Pur et l'Impur, entre le "bon Français" (qui fait "un vote utile"...) et le basané, le métèque.
DIET (Emmanuel), "Pygmalion technocrate", in Connexions, n°56, 1990.
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Emmanuel Diet a montré que l'évaluation, en tant que figure technocratique du pédagogique dans le social-historique du capitalisme spéculatif, a repris le fantasme tout-puissant de la pédagogie dans les modalités clivées que la crise anthropologique contemporaine impose.
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CARRER (Philippe), "La submersion d'Is: un mythe dangereux", in Rencontres de cultures en pathologie mentale en Bretagne, pp. 23-40, Rennes, 1983.
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L'écrasement de la mentalité celtique et de son matriarcat mental, d'abord par les Romains, les Chrétiens puis par l'Occident en général jusqu'à notre siècle, semble avoir provoqué un "retour du refoulé" de la logique celte, qui éclate dans la récente promotion, en Bretagne, de la légende de la ville d'Ys, qui du mythe fondateur de la civilisation celtique, en tant que promouvant des échanges équilibrateurs entre le monde des vivants et le monde hyperféminisé de l'Autre Monde, est devenu une tentation terrifiante pour la psyché des Celtes modernes: les Bretons; ce qui est confirmé ethnopsychiatriquement.
Cette dérive désastreuse et ses conséquences ont été mises en évidence par le Dr Carrer.
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Déjà, dans le domaine de la santé mentale, le suicide (dont la Bretagne possède d'ailleurs le triste record hexagonal), l'alcool (même réalité épidémiologique) et la drogue montent à l'assaut des remparts de nos sociétés et menacent d'engloutir la ville et ses enfants, aliénantes clameurs montant d'un fonds ancestral de synthèse et d'harmonie, celui des Celtes, et que pulvérisa la violence séparatrice de la Weltanschhung des Germains.
BIBLIOGRAPHIE COMPLEMENTAIRE
GERMAINS
BOYER (Régis), LOT-FACK (Evelyne), Les religions de l'Europe du Nord,
Fayard et Denoël, Paris, 1974, 756p.
DUMÉZIL (Georges), Les dieux des Germains,
P.U.F., Paris, 1959, 210p.
EHRAR (A.), La légende des Nibelungen,
H. Piazza, Alfortville, 1974, 166p.
HUBERT (Henri), Les Germains,
Albin Michel, 1952, 338p.
RIES (Julien), ? religieuse indo-européenne et religion des Germains et des Scandinaves,
Louvain-La-Neuve (Belgique), 1980, 160p.
CELTES
DOTTIN (Georges), MARKALE (Jean), L'épopée islandaise,
Presses d'aujourd'hui, Paris, 1980, 226p.
DUVAL (Paul-Marie), Les dieux de la Gaule,
Payot, Paris, 1976, 178p.
Les Mabinogion. Contes bardiques gallois,
Presses d'aujourd'hui, Paris, 1979, 292p.
MARKALE (Jean), Le druidisme,
Payot, Paris, 1985, 286p.
SHARKEY (John), Mystères celtes,
Seuil, Paris, 1975, 98p.