Imperium Ultimum
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Antaios: Jean Parvulesco, qui êtes-vous? Comment vous définiriez-vous?
Jean Parvulesco : Qui suis-je? Un combattant dépersonnalisé de l’actuelle montée révolutionnaire souterraine, montée impériale grand-continentale eurasiatique en marche vers l’installation politico-historique de notre futur Empire Eurasiatique de la Fin. Inconditionnellement engagé dans ce combat, depuis longtemps déjà, je ne me reconnais plus d’origines personnelles, ni d’autre avenir que celui de la poursuite, jusqu’au bout, de l’entreprise révolutionnaire finale qui est aujourd’hui la nôtre. Toutes mes activités créatives ou de subversion supérieure, toute ma conscience de moi-même et du monde, et jusqu’à mon existence même, dans son cours le plus immédiat, appartiennent donc au grand combat impérial souterrain actuellement en train de s’affirmer, et dans lequel je vois l’accomplissement d’une volonté providentielle finale, qui va vers l’avènement apocalyptique du Regnum Sanctum. Or qu’est-ce que le Regnum Sanctum? On y reconnaît le Règne Final de l’’Unique Absolu” et de ses agents d’exécution prédestinés, dans l’histoire et au-delà de l’histoire, assomption suprême, transcendantale, de notre Empire Eurasiatique de la Fin.
J’utilise donc mes littératures, toutes mes littératures, mon travail de recherches abyssales dans le sens de la déconspiration active, de la désoccultation en profondeur du mystère vivant de ce monde et de son histoire, de l’au-delà de son histoire, ainsi que le front intérieur de mes activités mystiques et spirituelles suprahistoriques, polaires, parfois assez dangereuses pour entretenir, renforcer, exacerber la marche en avant de la révolution impériale grand-européenne eurasiatique dont je m’efforcerai sans cesse de définir, en termes d’action contre-stratégique immédiate la situation en cours d’évolution et les buts immuables, d’en révéler, envers nous-mêmes, une figure d'affirmation de plus en plus centrale, limpide, définitive.
J'ai choisi de me sacrifier sciemment pour la cause qui est la nôtre, de me dépouiller de toute prétention de vie personnelle avouable, de tout assujettissement de carrière ou de montée sociale, de tout céder, d’avance, aux impératifs visionnaires de notre combat: je n'existe plus, je ne suis plus que le “concept absolu" du grand combat révolutionnaire impérial en cours. Je crois qu'en ce qui me concerne, il s’agit peut-être d'un nouveau genre de militantisme, d'un “activisme transcendantal", qui correspond d'ailleurs au déjà fort exhaussement du niveau auquel se pose désormais le fait du combat politique lui-même, engagé à l'avant-garde d'une histoire arrivant à son terme, s'apprêtant à se dédoubler en son propre contraire lors de son passage à l’au-delà de l'histoire, à la “transhistoire’’ qui vient Un “activisme transcendantal" à la disposition du nouvel Ordre combattant qui régira le monde à venir et son histoire; une histoire, avec un mot de Heidegger, encore imprépensable. Raymond Abellio, dans Heureux les Pacifiques.
“Nous n'allons qu'au peuple invisible, celui qui survivra et qui sera chargé de repeupler le monde. C’est à nous, à notre Ordre, qu'il incombera de découvrir, de retenir, de résumer l'acquis des derniers millénaires, dix mille ans peut-être, et de le passer à la nouvelle terre. Alors, pour ceux-là, je veux bien faire le militant, tu comprends. Je n'appelle plus ça de la politique”.
Les confidences que je viens de vous faire ici sont assez inattendues, et d’aveu difficile, il faut en convenir, mais, en même temps, tout à fait nécessaires: en effet, il est grand temps que nous décidions de nous situer sur le terrain propre des combats qui font aujourd'hui l'histoire, la “grande histoire” marquant la fin d'un cycle cosmique en principe déjà révolu. Or ce terrain est précisément celui que j'appelle l’activisme transcendantal", celui de l'engagement existentiel total de quelques-uns, prédestinés, éveillés, frappés par la foudre, libérés dans la vie ou visionnaires, engagement les portant à la pointe d'une action révolutionnaire sans retour, parce que ses objectifs propres se trouvent déjà au-delà de l'histoire. Et je ne m'épargnerai non plus la peine d'essayer de dévoiler quels peuvent bien être ces objectifs révolutionnaires d’au-delà de l'histoire qui sont actuellement ceux de notre propre action souterraine, et, tous, en relation directe avec la mise en piste de notre futur Empire Eurasiatique de la Fin et avec la projection suprahistorique finale de celui-d vers son identité ultérieure, assomptionnelle, vers le Regnum Sanctum. Je tacherai de faire cela au courant de cet entretien même, ne fût-ce que pour en apporter ainsi sa justification révolutionnaire propre, son intégration dans notre front de marche. Vous vouliez de moi une sorte d'auto-définition de ma personnalité: suivant la dialectique de la dépersonnalisation révolutionnaire, j'ai essayé de me définir plutôt à travers certaines positions de mon engagement de limite, au-delà de moi-même.
Antaios: Vous conjuguez en vous de multiples et riches influences. Pouvez-vous nous avouer quelles furent pour vous les grandes lectures? Les grands voyages?
Jean Parvulesco : Mes lectures? Je crois que, très tôt, j’avais tout lu. Sincèrement, je n’arrive pas à dégager une influence prépondérante, pour ma formation, dans l’auto- encerclement que je n’en finis plus d’édifier autour de moi, de mes lectures, même aujourd’hui. Mais faudrait-il, peut-être, que je fasse une exception pour l’oeuvre de René Guenon?
C’est que je n’ai jamais rien appris, en fait, à travers mes lectures: je n’ai jamais lu que ce qui pouvait me conforter dans mes propres convictions, certitudes intérieures, illuminations, dans ce qui déjà était venu émerger du tréfonds de moi pour s’installer décisivement en ma conscience. Ainsi ai-je été puissamment soutenu dans mes certitudes visionnaires par Hôlderlin, par Heidegger aussi, par quelques écrivains occultistes, comme Arthur Machen, Dennis Wheatley et Talbot Mundy, John Buchan; parle Edgar Alan Poe des Aventures d'Arthur Cordon Pym. Et là, je tiens à citer aussi les écrits héroïques, exaltés, de Miguel Serrano. Tout ce que je sais, je l’ai donc appris, mystérieusement, par un incessant surgissement à vif qui, depuis la fin de mon enfance, s’était engagé à faire surface en moi; déjà, peut-être, à partir de onze, douze ans; où il m’en était venu comme un enseignement indéfiniment recommencé, renouvelé, continué, dont le murmure abyssal n’a pas fini de se produire en moi, jusqu’à présent.
Un exemple: si, vers ma quinzième année, j’avais intensément pratiqué les romans de Mircea Eliade, c’est parce que l’idée m’était alors venue que je devais y trouver des passerelles, des points forts d’appui pour ma propre vision conductrice fondamentale, qui était, à ce moment-là - et qui l’est restée, aujourd’hui encore - celle de l’amour considéré comme la suprême modalité de connaissance. Non, je le répète, je ne me reconnais aucune lecture dont je puisse dire qu’elle m’ait été décisive. Encore une fois, tout ce que j’ai jamais appris m’est venu de l’intérieur de moi-même, comme par un perpétuel enseignement secret Ainsi même que le disait Augustin d’Hippone:
Christus intus docet,
“c’est de l’intérieur que le Christ enseigne”.
Par contre, les voyages m’ont presque tout appris de ce que je sais, de ce que je crois savoir à présent Mon cheminement a été fort puissamment marqué par un certain nombre de rencontres - dois-je dire de rendez-vous - que j’ai eues avec certaines villes, avec certains "endroits chargés", au nombre de treize: Medjugorje, Innsbruck, Paris, Versailles, Madrid, l’Escurial, la Valle de los Caidos, Barcelone, Palma de Majorque, Rome, Berne, Genève, et, enfin, Cergy Saint- Christophe, dans le Val d’Oise. Aussi me semble-t-il qu’il faudrait quand même que je m’arrête sur ce qu’ont signifié ces rencontres avec ces treize villes, avec ces treize « endroits chargés », à mon intention, d’une mission décisivement révélatrice, ayant eu, pour moi, un statut missionnaire. Certes, l’espace me manque ici pour tout dire, mais je revisiterai, néanmoins, Innsbruck, Paris, la Valle de los Caidos, Genève et Cergy Saint-Christophe. Les choix correspondent, je l’avoue, à une sorte de message chiffré destiné à certains.
Dans Le Gué des Louves, j’ai plus ou moins tout dit sur mon expérience initiatique d’innsbruck, la première d’une longue série ultérieure, ainsi que sur celle non moins fondamentale, de la Valle de los Caidos. A Innsbruck donc, la nuit de la Saint-Sylvestre 1949:
"J’étais devant la Compagnie de Garde, devant la Sainte Compagnie de Garde des Portes Impériales, je me trouvais convoqué devant la très occulte assemblée des gardiens conceptuels du Regnum Sanctum, je polarisais sur moi, à ce moment précis, le feu du regard de ceux dont la communauté continuait en elle-même ontologiquement, le mystère vivant et agissant, le mystère alors entrouvert, pour moi, des Hautes Portes Impériales et, panant, le vivant mystère de l’Imperium".
Alors que dans la Royale Basilique de la Valle de los Caidos, j’avais été, l'été de 1961, sacré Capitan de Cruzada, “Capitaine de Croisade”, par l’Abbé Mitré, Justo Perez de Urbel. Cependant, ainsi que je le disais dans Le Gué des Louves ouvertement, ce qui m’avait été fait à Innsbruck, c’était pour que je ne m’en souvienne plus jamais, et à la Valle de los Caidos pour que je m’en souvienne sans cesse, et pour toujours. Or, la contrepartie ultérieure de la mise en mission métahistorique, transcendantale, qui m’avait été signifiée à Innsbruck, la nuit de la Saint-Sylvestre 1949, et qui devait, en fait, décider de ce qu’allait être ma vie, toute ma vie, contrepartie fulgurante, faite à parts égales de rupture et d’assomption, ne m’avait-elle été imposée, soudain, le 2 août 1952, rue Boislevent à Paris XVIème? Au sujet de mon expérience de la rue Boislevent, à Paris, j’écrivais dans L’Appel des origines antérieures, ce qui suit:
"Il faut que le feu nouveau vienne, et que seuls parlent, désormais, ceux qui portent en eux les inconcevables stigmates de ce feu-là. Or la foudre d’Apollon je l’ai moi-même connue, le 2 août 1952, vers les cinq heures du soir, devant le numéro 23 de la rue Boislevent Depuis tout m’est vision".
Quant à Genève, pour en témoigner, il m’a fallu avoir recours à un roman de quatre cents pages, Un Bal masqué à Genève. J’y rends compte du mouvement de rappel polaire qui, le 24 juillet 1969, avait réuni, à Genève, le congrès clandestin des trois conspirations abyssales à ce moment-là en action sur place: la conspiration abyssale des précipices souterrains occultes, interdits, de Genève, la conspiration abyssale de ses hauteurs transaériennes, "métagalactiques", ainsi que celle - la troisième, donc - de la réunion, de l’intégration, sur place, des deux autres, lors du Bal masqué commandé par la mystérieuse Lena Forlani.
Enfin, au sujet de Cergy Saint-Christophe, on se souviendra que la dernière partie de L’Etoile de l'Empire Invisible, se trouve consacrée au traitement des révélations cosmiques, "métagalactiques", auxquelles j’avais eu clandestinement l’accès pendant mon séjour dans le Val d’Oise, au terme de l’Axe Majeur transcontinental aboutissant, là-bas, sur place, aux mystérieuses Portes de l’Atlantide conceptuelles, sur lesquelles se refermait le secret agissant du Palais Blanc du Belvédère, appareil architectonique d’intervention sur la marche sidérale des temps, des derniers temps du cycle actuellement en voie d’extinction.
Certes, il est parfaitement évident que ces dernières considérations - je n’ose pas dire révélations - ne sauraient intéresser que fort médiocrement ceux qui ne connaissent pas déjà l’ensemble de mon oeuvre. 11 n’y a cependant pas lieu a s’en excuser, c’est la règle du jeu. Un entretien comme celui-ci n’est en effet pas à envisager dans le but de faciliter un travail de présentation, mais pour assurer un certain nombre de voies de pénétration, d’explorations nouvelles, différentes, particulières de mon oeuvre à ceux qui “sont déjà dans le coup”. La complicité aussi est une modalité de connaissance.
Antaios: Quelles furent vos grandes expériences? La prison? Les camps de concentration? La guerre? L’amour?
Jean Parvulesco : J’ai connu la cellule blindée numéro 15 de la prison centrale de l’UDBÀ titiste, Dalmatinska Ulica, à Belgrade, le camp de concentration de Zrenianin, dans le Banat yougoslave, ainsi que le camp de travaux forcés de Litva-Banovic, en Bosnie, dans les mines de charbon. J’ai fait clandestinement toute l’Europe, de Belgrade à Lisbonne, et toute l’Afrique du Nord aussi. J’ai été assigné à la résidence à Melilla, au Maroc espagnol, et j’ai navigué clandestinement dans toute la Méditerranée occidentale, à bord de certains bâtiments espagnols, ou qui battaient le pavillon libérien. D y a de cela une quarantaine d’années, en des temps de folie et d’aventures aussi exaltantes que dangereuses, dont je n’ai gardé qu’un souvenir comme étranger à moi-même, comme s’il s’agissait de la vie d’un autre. J’avais alors à maintes reprises frôlé de très près la mort, vraiment de très près, j’avais senti sur moi son souffle glacé. Mais tout s’est perdu dans l’obscurité, dans les brumes d’un passé désormais insaisissable, comme vidé de lui-même, inexistant. J’ai également participé aux grandes batailles politiques de l’OAS, comme secrétaire général du Gouvernement Provisoire de l’Algérie Française et du Sahara à Madrid, et plus tard aux côtés du Dr. Jean-Claude Perez. Ainsi ai-je eu à comprendre quelle est la facticité, l’inutilité profonde de l’action directe, qui ne retentit jamais à l’intérieur sur le coup même, qui se passe toujours comme si elle ne se passait pas, hors de soi-même, dans un espace et dans une temporalité particuliers, posés en dédoublement de soi-même, toujours dans l’horizon secret de la mort, toujours assujettie au seul présent, à l’instant même. L’action directe n’a de sens que par rapport au travail d’une certaine prise en main de soi-même, qui ne se fait que dans l’inconscient profond, et dont les effets ne sauraient paraître qu’ultérieurement, quand on se trouvera hors de danger, déjà sorti de la zone des périls immédiats, de T'attention suprême". Aussi l’action directe ne sied-elle qu’à la jeunesse, à la grande jeunesse.
Il reste, pour plus tard, les combats révolutionnaires contre-stratégiques, les grands combats souterrains de l’histoire invisible et du pouvoir occulte transcendantal, visant à changer le sens même de l’histoire et jusqu’aux états mêmes de la réalité cosmique et métacosmique dans son devenir sur les hauteurs ultimes de l'être, les suprêmes combats de F "âge d’homme" et de la temporalité héroïque de la grande suprahistoire qui vient et qui, secrètement, est peut-être déjà là. Or, derrière tous ces combats, se tiennent, dans le secret ontologique de leurs états mêmes, les grandes manipulations occultes de l’amour, les machinations abyssales dont les réverbérations retentissent jusque dans l’intimité la plus interdite de l’Aedificium Amoris, dont les murailles de feu vivant s’élèvent dans l’ultime tréfonds des hauteurs, des "deux derniers". Seulement par l’amour on peut agir révolutionnairement sur l’absolu, à l’intérieur des espaces transcendantaux de l’histoire humaine et de son dédoublement suprahistoriques, ouverts sur les “hauteurs ultimes”. Or vous n’avez pas manqué de m’interroger, aussi, sur mes propres expériences amoureuses. Vous comprendrez qu’il m’est difficile de m’étendre là-dessus, toute confession, aussi disponible qu’elle fût à ses propres épanchements, comporte certaines limites opératives, que l’on ne saurait quand même pas dépasser. Mais je peux néanmoins vous confier que toutes mes expériences amoureuses, y indus celles de limites extrêmes, au bord des ultimes précipices au-delà de la mort, se trouvent transposées dans le contenu récitationnel de mes romans, qui, tous, ne font que rendre compte, d’une manière nécessairement chiffrée - mais jamais trop - de la marche en avant de ma propre spirale amoureuse dans l’accomplissement de sa trajectoire prédestinée. Tous mes romans sont autobiographiques, tous mes romans témoignent de mon cheminement nuptial vers un aboutissement ultime, prévu d’avance, qui porte en lui un immense secret salvateur, un engagement eschatologique suprême, suprahumain, "divin". Car c’est l’ultime accomplissement nuptial qui constitue les fondations occultes de l’Imperium.
Antaios: Vous avez connu un grand nombre d'esprits libres, dont Heidegger, Evola, Pound, Abellio, Eliade, de Roux, Melville, Godard, Rohmer, etc. Pouvez-vous nous parler d'eux? Que peuvent-ils nous apporter à l'aube du XXI-ème siècle?
Jean Parvulesco : Rien, rien, ils ne peuvent rien nous apporter de nouveau, de tourné vers le plus profond futur, au-delà de la frontière du troisième millénaire, du XXlème siècle, tous ces esprits libres, ou en libération, que j’ai été amené à fréquenter ces dernières années. Car, à part Heidegger et Abellio, et quel que puisse être, par ailleurs, l'éclat de leur incontestable génie, leur mission ne semble pas avoir été celle d’inaugurer l’ouverture abyssale vers le futur encore imprépensable de temps d’au-delà de l’histoire qui sont, désormais, les temps de notre prédestination propre, leur mission aura été, au contraire, celle d’établir comme un inventaire assomptionnel de la clôture du cycle, en saisir le tout dernier éclat avant l’extinction finale. Cela étant, à ce qu’il me semble, extraordinairement flagrant dans le cas d’Ezra Pound, dont la très grande poésie ne fait que reprendre, une dernière fois, Facquis transcendantal de la civilisation de tout un cycle déjà révolu son “chant suprême”. Voyez Cantos Pisanos. J’attends donc une autre race de créateurs, tournés vers l’au-delà impérial de l’histoire, vers l’avenir transcendantal que nous devons faire nôtre, révolutionnairement, dans les termes mêmes de notre propre prédestination impériale secrète. Une race visionnaire, une race de surhommes habités déjà par la lumière insoutenable du Regnum Sanctum.
Tout ceci dit, je pourrais bien sûr vous livrer aussi un certain nombre de souvenirs significatifs sur les rencontres, les amitiés que j’ai pu avoir à nouer au sein de ma génération. Mais, sincèrement, je n’en vois pas Futilité dans le cadre du présent entretien. A quoi servirait-il que je vous dise que Raymond Abellio s’était rendu clandestinement à Palma de Majorque, en 1964, pour faire une série de conférences initiatiques aux cadres de terrain, aux tueurs politiques de l’OAS, ou qu’il avait pris contact, à Paris, avec les services spéciaux politiques de l’Ambassade de la Chine Rouge? Que Julius Evola avait été mêlé de près à certaines activités extérieures secrètes de l’OAS, que Dominique de Roux avait tenté de mettre en place un grand Empire transatlantique comprenant le Portugal, le Brésil et l’Afrique portugaise? Et qu’il avait été empêché de mener à bout son grand projet visionnaire par les services spéciaux de Washington?
Par contre, il me semble devoir y faire état d’une situation commune, engageant tous ceux - ou presque - de ma génération que j’avais eu à approcher, à fréquenter de très près. La définition de cette situation commune - et fort spéciale - étant en mesure de livrer une dimension à la fois occulte et tout à fait décisive de mes rapports confidentiels avec eux, ainsi que de mes propres positions intérieures dans Factuelle conjoncture spirituelle d’un monde tout près de sa fin attendue, et qui tarde encore, crépusculairement Mon essai Le Soleil rouge de Reymond Abellio, prend fin sur la reproduction d’une lettre de moi - un fragment - adressée à Abellio le 14 septembre 1980, et où je lui disais:
“S’il y a un mystère vivant des temps qui sont nôtres, c’est bien le mystère abyssal, le mystère nocturne de l’empêchement qui m’est sans cesse fait de franchir la ligne pour accomplir ce que vous savez que l’on exige et attend de moi. Que les puissances au service de la négation et du chaos s’opposent à mon passage, quoi de plus évident? Mais ce qui l’est moins, ce sont les carences de la contre-opposition des nôtres, les défaillances, à mon égard, de l’Appui Extérieur que vous savez”.
En effet, tous, ils attendaient de moi que j’apporte avec moi une puissance de salut et de délivrance immédiate, se refusaient obstinément de croire au fait que je puisse ne pas pouvoir le faire, et, secrètement, ils m’en voulaient tous à cause de cela. Impardonnablement Et cela continue encore aujourd’hui. Ainsi n’en finit-il plus de se constituer, autour de moi, comme une enceinte noire, enserrante, faite du ressentiment inavouable de tous ceux qui ne me pardonnent pas de ne pas correspondre à leur attente à l'égard de ma prédestination salvatrice, et qui ne savent pas que, ce que j’ai à faire, je ne pourrai le faire qu’une fois l’heure venue, et que ce n’est pas à moi de décider de l’heure ultime.
“Quant à la date de ce jour, ou à l’heure, personne ne les connaît, ni les anges dans le ciel, ni le Fils, personne que le Père”, Marc, XIII, 32.
Antaios: Vous vous êtes imposé comme l'un des maîtres du roman géopolitique. Que pouvez-vous nous dire sur votre conception d'un «grand gaullisme »? Comment êtes-vous mu au gaullisme?
Jean Parvulesco : En fait, le roman occidental - le “grand roman” occidental - ne fait que représenter indéfiniment la dialectique de la "romance arthurienne" originelle, qui est celle du salut et de la délivrance du Regnum historique à l’aide d’une intervention suprahistorique occulte, avec le soutien donc d’une machination amoureuse supérieure, menée à son bout, finalement victorieuse. "L’amour l’emporte". Tout roman occidental majeur traitera donc, d’une manière plus ou moins dissimulée, du salut et de la délivrance du Regnum, des opérations exigées par la libération finale de celui-ci. Opérations qui doivent nécessairement se passer dans l’espace visible de l’histoire, et relevant par conséquent de la géopolitique. Par la force même des choses, tout authentique roman occidental va donc devoir constituer le récit d’une instruction géopolitique de la réalité, instruction dissimulée derrière son propre conditionnement circonstanciel, derrière les développements mêmes de son propre récit porteur. Ainsi que vous l’avez fort bien saisi, mes romans n’en font pas exception: ils suivent, jusqu’au bout, la dialectique intérieure de la “romance arthurienne”, l’instruction géopolitique occulte du concept périclité du Regnum et de sa recouvrance suprahistorique finale. Voir, à ce sujet, L’Etoile de Empire Invisible, Les Mystères de la Villa “Atlantis”, etc.
Quant à mon gaullisme, son secret tient, peut-on dire, dans une simple phrase de Bossuet
"Les desseins du prince ne sont bien connus que par leur exécution".
Ce fut en effet quand, dans les années soixante, je m’étais aperçu, sur la marche même des faits, de la mise en situation active du “grand dessein” secret du général de Gaulle, qui, en s’appuyant sur le pôle carolingien franco-allemand reconstitué par ses propres soins, avait entamé, déjà, le processus de l’intégration à terme de l’ensemble du Grand Continent Eurasiatique, intégration menée au titre d’un projet impérial ultime de dimensions transcendantales, que force m’avait-il été de finir par reconnaître le gaullisme pour ce qu’il était en dernière analyse, à savoir une conspiration impériale suprahistorique en marche, et utilisant, pour ce faire, la France comme un outil prédestiné d’action, de présence et d’établissement une conspiration impériale grand-continentale eurasiatique suivant, dans ses grandes lignes, le projet originel du Kontinentalblock de Karl Haushofer. Ce à partir de quoi je ne pouvais que m’y rallier en force, et en suivre le mouvement de plus près, y intervenir pour le soutenir, pour en accélérer et exacerber les thèses engagées en action, pour lui fournir les armes nouvelles de ses développements à venir. Je m’y reconnaissais entièrement, il ne me restait plus qu’à le suivre entièrement En même temps, je ne voulais admettre aucune contradiction de fait entre mon nouvel engagement à l'égard du gaullisme et mes combats antérieurs à la pointe la plus activiste de L’OAS. Car, dans l’OAS, je n’avais pas un seul instant vu un mouvement politique, une Organisation disposant d’un sens politique propre, mais seulement une sorte d’école de cadres politico-révolutionnaires supérieurs, se forgeant au feu de l’action, sur le terrain, en vue d’une utilisation politique ultérieure, celle-ci réellement révolutionnaire, avec des justifications réellement historiques, visant au changement de l’histoire, à sa transfiguration finale.
Il faudra aussi comprendre que, au-dessus du mouvement gaulliste en tant que tel, dans ses manifestations politiques immédiates, circonstancielles, je m’étais obligé à identifier un "grand gaullisme" à l’identité et aux buts ultimes suprahistoriques secrètement mobilisés dans les termes d’une dialectique impériale happée en avant par la figure polaire ultime du Regnum Sanctum. Car, dans les profondeurs, tel est en effet le gaullisme, le “grand gaullisme”, le “gaullisme de la fin”.
Antaios: Comment voyez-vous Imperium? Quel sens donnez-vous à ce concept rayonnant?
Jean Parvulesco : La reconstitution de 1’Imperium reste le but politico-historique final et suprême de tout renouvellement de cycle. Et l’on dit reconstitution parce que l’Imperium existait déjà, préontologiquement, avant que l’histoire ne commence - ou ne recommence - et que sans fin il se reconstitue, de cycle en cycle, jusqu’à ce que, à la fin de tout, au-delà de tous les cycles en renouvellement, il atteigne à l'état de son immutabilité finale, supratemporelle, suprahistorique, “éternelle”. Car l’Imperium représente la figure de l’unité primordiale, d’avant la séparation du tout en parties, et il représente aussi la figure de la reconstitution finale du tout, quand les parties éparses et antagonistes seront à nouveau réintégrées dans leur tout impérial définitivement reconstitué, nuptialement rassemblé en son unité virginale, hors d’atteinte et non-atteinte, l’après ayant résorbé l’avant.
Dans l'état actuel des choses, en cette fin d’un cycle presque révolu, le but du combat de ceux qui sont restés les mêmes, mystérieusement à contre-courant, intacts, non-atteints, libres en eux-mêmes de leur propre liberté fondamentale, vise à la mise en état politico-historique immédiate de ce que nous autres appelons l’Empire Eurasiatique de la Fin, qui devra réintégrer dans une unité impériale renouvelée et totale l’ensemble du Grand Continent Eurasiatique, autrement dit l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est, la Russie et la Grande Sibérie, l’Inde et le Japon.
Dans un stade ultérieur, l’Empire Eurasiatique de la Fin devra s’exhausser jusqu’à l’identité ultime de l’Imperium planétaire de la fin, dont la projection transcendantale, au-delà de l’histoire, sera le Regnum Sanctum, l’accomplissement renouvelé de l’unité préontologique du tout antérieur des premiers débuts du cycle, et qui est dit Sanctum parce qu’il sera appelé à faire la jonction de l’histoire et de l’au-delà de l’histoire, et qu’en son centre se trouvera régner, immuable, l’Absolu Lui-Même. Aussi doit-on comprendre que ce ne sont aucunement ies efforts des uns ni les résistances des autres qui, finalement, décident de l’avènement de l’Imperium, mais la seule volonté impériale de qui en détient transcendentalement le pouvoir central, qui décidera de l’heure et des modalités révolutionnaires de son rétablissement.
Antaios: Tous vos livres développent une nostalgie de la plus Grande Inde. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Jean Parvulesco : L’arrivée au pouvoir, en Inde, avec le formidable raz de marée du nationalisme hindou que l’on a vu se lever lors des dernières élections, du Bharatyia Janata Party (BJP), ne saurait en aucun cas ne pas être considérée comme un signe éclatant, comme la mystérieuse apparition d’une Etoile Nouvelle au-dessus du sous- continent indien: l’Inde, aujourd’hui, rentre dans le courant central de l’histoire mondiale en crue finale, rejoint le niveau final de la plus “grande histoire”. Ce signe révolutionnaire concerne directement le devenir actuel du Grand Continent Eurasiatique, c’est une certitude absolue. Ce qu’avait été la totale unité d’être et de destin des nôtres au début du cycle actuellement finissant, est à l’heure présente en train de se reconstituer, à la fin du cycle et au-delà de cette fin, définitivement L’immense sous-continent indien, entré dans la phase décisive de son retour national-révolutionnaire à lui-même, va compter d’un poids absolument irrévocable dans la marche en avant du projet de notre Empire Eurasiatique de la Fin.
Aujourd’hui, toutes les forces national-révolutionnaires présentes et agissantes dans l’espace intérieur du Grand Continent Eurasiatique doivent très impérativement se mobiliser, rassembler leurs disponibilités visibles ou cachées pour soutenir, sur le double plan idéologique et politico-administratif, à la fois sur place, en Inde même, ainsi qu’à l’extérieur, à l’extérieur surtout pour le moment, la Révolution Nationale de l’Inde renaissante et qui va déjà au devant de son nouveau destin.
C’est aussi pourquoi nous venons de mettre en piste, à Paris, comme une première structure opérationnelle d’accueil et de soutien, un Groupement de recherches géopolitiques pour la plus Grande Inde, base de rassemblement pour toutes les initiatives des nôtres allant dans le sens de la mobilisation générale du front national-révolutionnaire européen et grand-continental autour de l’Inde Nouvelle et de la Révolution Nationale indienne en train de se lever à l’appel de son plus profond avenir. Au moment même où, à l’Ouest du Grand Continent Eurasiatique, par un double mouvement de dégénérescence politique nationale de la France et de l’Allemagne, le pôle carolingien franco-allemand semble entrer dans une phase d’incertitude et de vacillations fatidiques, qu’entretiennent et exacerbent, par en-dessous, les forces subversives du désenchantement fabriqué et de la haute trahison, à l’Est, comme par un contre-mouvement de haut renouveau compensatoire, l’Inde prend la relève pour veiller à la continuité révolutionnaire de ce qui a déjà été entamé par les nôtres et qui, désormais, ne peut pas ne pas aboutir à l’avènement prévu de notre Empire Eurasiatique de la Fin: c’est ce qui prouve qu’une volonté providentielle agit souterrainement, qu’un haut- commandement suprahistorique est à l’oeuvre, dans l’invisible, qui mine l’action impériale grand-continentale en cours. Que le centre de gravité politico- révolutionnaire du Grand Continent Eurasiatique se soit à présent déplacé de l’Europe de l’Ouest sur l’Inde, n’est-ce pas là un fait contenant une signification à la fois tout à fait nouvelle et tout à fait décisive, qui exige une réflexion profonde et un non moins profond changement d’attitude mentale de notre part? Car c’est en Inde que naît notre nouvelle espérance vive.
Paris, équinoxe de printemps 1998.