Traditionnellement, il y a une mauvaise attitude envers le serpent. C’est un terme injurieux. En mémoire de la tentation d’Eve au Paradis, les reptiles sont privés de pattes et rampent sur leur ventre, sur le sol humide et nu. Le serpent a incorporé Satan. Le mauvais esprit galope à travers le cimetière sur son cheval sans pattes et couvert d’écailles, pendant la nuit, effrayant les vampires et les lapins dormant derrière les buissons. Etant venimeux, froid et souple, le serpent attire peu de sympathie. Marx prit la taupe comme symbole du capitalisme. Comme une taupe aveugle, le capitalisme creuse des trous sombres dans les cœurs des petites gens, parcourant les labyrinthes vampiriques, amenant des bénéfices croissants pour la plus méprisable minorité et des souffrances innombrables pour la plus stupide majorité. Gilles Deleuze a remarqué à juste titre que le capitalisme moderne a changé de symbole. La taupe habituelle a épuisé ses possibilités. Ses sales trous ont tellement grêlé le pauvre sol que la réalité est devenue un tamis à l’échelle mondiale, d’où les habitants de ce coté-ci du grand mur font des grimaces. L’Ere de la Taupe est terminée.
Par exemple, trois personnes sont en train de boire. Jusqu’à un certain moment, leur comportement est très prévisible : ils discutent de connaissances, d’amis, de problèmes personnels, de sport, de femmes, de politique. Progressivement, à mesure que le niveau d’ivresse s’accroît, des « bruits » (c’est ainsi que la physique moderne nomme les interférences secondaires dans le flux du processus) commence à s’insinuer dans la conversation. Ces « bruits » peuvent s’exprimer par ce que certains passages sont répétés plusieurs fois par les gens ivres, les conditions psychologiques deviennent tendues, des arguments et des conflits surgissent, l’atmosphère générale se tend. A un certain moment, les conditions atteignent le point de divergence (c’est un terme-clé dans la « théorie de la catastrophe » du physicien bien connu René Tom). Cela signifie que la logique de comportement du trio ivre dans son ensemble et de chacun de ses membres séparément, peut arbitrairement prendre une trajectoire parmi deux de probabilité égale. Par exemple, deux d’entre eux vont dormir, et le troisième rentre à la maison. Ou l’un en attaque un autre à coups de poings, pendant que le troisième tente de les calmer. Ou tous les trois vont dans la rue et se bagarrent avec des passants pour des broutilles. Ou tous se séparent tranquillement et rentrent dans leur famille avec une conscience coupable.
Dans notre société russe [Rossiski, faisant référence à la citoyenneté de la Fédération Russe, NDT] – particulièrement dans la sphère sociale et politique – au début du nouveau millénaire, une déficience d’idée se fait douloureusement sentir. La majorité des gens – y compris les gouverneurs, les politiciens, les scientifiques, les travailleurs – sont guidés dans leur vie et dans leurs choix politiques par un ensemble de facteurs momentanés, de préoccupations fortuites, d’appels éphémères et transitoires. Nous perdons rapidement toute représentation générale concernant le sens de la vie, la logique de l’histoire, les problèmes de l’homme, le destin du monde. Les choix existentiels et sociaux ont été remplacés par la publicité agressive. A la place d’une idéologie politique responsable et signifiante il y a quelques public relations efficaces (ou inefficaces). Le résultat du combat des idées est décidé par le volume des investissements en publicité. Les dramatiques chocs entre les peuples, les cultures et les religions sont transformés en spectacles inspirés par les sociétés multinationales et les trusts pétroliers. Le sang humain, la vie humaine, l’esprit humain sont devenus des abstractions statistiques, au mieux des objets de consommation – des figures de rhétorique démagogiques avec des lamentations humanitaires mielleuses et ambiguës dissimulant un double jeu.
Le nom de Nikolaï Nikolaiévitch Alekseiev n’est pas toujours mentionné dans la liste des principales figures eurasistes. C’est une erreur ennuyeuse, contrastant fortement avec la dimension et la profondeur de ce penseur, avec l’importance de ses travaux et concepts pour toute la vision-du-monde eurasiste. Les noms de Karsavin (un penseur assez ordinaire) ou de Suvchinsky (qui dans l’ensemble est plus important pour son appui financier au mouvement que pour ses écrits médiocres) apparaissent en tête de la liste eurasiste, alors qu’Alekseiev vient plus bas, étant parfois simplement oublié. En réalité, il peut être inclus à juste titre dans le trio des auteurs eurasistes les plus intéressants, les plus originaux et les plus profonds.
Mais les précurseurs les plus directs de la RC russe sont les slavophiles du XIXième siècle. Ce courant a fortement influencé toute la vie intellectuelle russe au cours de ces deux derniers siècles. Mais, contrairement à ce qu'on pense trop souvent, le courant slavophile n'a pas toujours été uniquement conservateur, patriarcal, archaïsant et réactionnaire. Comme presque toujours dans l'histoire russe ‹et j'oserais même dire dans presque toute l'histoire de la pensée contre-révolutionnaire‹ les intellectuels les plus radicaux de la Droite ont subi une évolution très particulière avant de devenir radicalement con-servateurs: ils ont très souvent commencé leur trajectoire par le pôle opposé, par le modernisme, le pro-gressisme et l'idéal révolutionnaire. Les premiers slavophiles ‹ceux dits de la première génération, comme A. Chomyakov, P. Kirievsky et les frères Aksakov, etc., sont tous passés par les idées de la ré-volution française. Mais ils ont perdu les illusions de leur jeunesse et ont exalté les valeurs radicalement anti-révolutionnaires, celles du sol, celles du peuple compris cette fois comme unité organique, qualita-tive, historique, celles de l'identité spirituelle et géopolitique de la Russie, celles de l'identité religieuse et impériale de cet immense pays.
Voyez-vous, ce que croit l’Occident aujourd’hui, c’est qu’un jour toutes les démocraties libérales abandonneront leur souveraineté et se fonderont dans une sorte de “super-nation” sous l’hégémonie américaine. Telle est bien l’idée centrale de la globalisation à l’oeuvre aujourd’hui. Ce projet est irréalisable avec un Vladimir Poutine car il s’y oppose et défend la souveraineté russe. Ensuite, il ne reconnaît pas la prétention américaine à exercer cette hégémonie en toute exclusivité. C’est là qu’il faut chercher la vraie raison des attaques acharnées que commet l’Occident contre lui et de sa diabolisation. C’est aussi la raison pour laquelle l’Occident soutient de manière aussi spectaculaire l’opposition russe: il s’agit d’acquérir de l’influence et de consolider l’hégémonie occidentale.
Q.: D’après vous donc, Poutine fait tout ce qu’il faut faire...
AD: Bien sûr que non. Il a commis des erreurs, notamment lors des dernières élections pour le Parlement. Elles n’ont pas été aussi transparentes qu’elles auraient dû l’être.
Dans les milieux géopolitiques du gaullisme, j'entends à l'intérieur de ses fort confidentiels groupes géopolitiques, dont l'action, quoi qu'on en dise, continue dans l'ombre, on est plus que jamais convaincu de la nécessité vitale, ontologique, d'une grande politique continentale franco-allemande.
Car, tout en se tenant très en retrait par rapport aux engagements que le mouvement gaulliste officiel a contracté, actuellement, en France, à travers l'expérience gouvernementale poursuivie par Edouard Balladur et Charles Pasqua, les groupes géopolitiques n'en surveillent pas moins attentivement l'évolution de plus en plus inquiètante de la situation politique générale en Europe.
Or, pour le gaullisme de la fin, pour le gaullisme en voie d'accomplissement final, qui seul est nôtre, plus la politique européenne se trouve en difficulté, par rapport à elle-même aussi bien que sur ses fronts d'affirmation extérieure, planétaire, plus il faut que le rapprochement franco-allemand s'intensifie, et qu'à la limite il finisse même par se résoudre en une intégration fédérale décisive, allant jusqu'à l'identification totale. Une identification finale destinée à changer, comme par réverbération sismique, de l'intérieur et irréversiblement, l'ensemble de la situation politique continentale.
En ces tumultueux débuts de l’année 2004, des événements absolument décisifs se manifestent, avec force, à l'abri de leurs propres dissimulations à l'oeuvre, qui sembleraient chargées d'en obturer, d'en atténuer la véritable importance, le caractère certain d'une mise en convergence tragique, engagée dans la direction d'un reversement final des temps et du sens actuel de l'histoire du monde à sa fin. Car il est désormais chose parfaitement acquise qu'à présent nous allons inéluctablement vers «la fin d'un monde», expression empruntée à René Guénon. Bien sûr, les actuelles gesticulations paranoïaques de ce que Bill Clinton avait appelé la «Superpuissance Planétaire des Etats-Unis», engagée comme celle-ci se trouve dans son incroyable entreprise d'ingérence - dans les termes d'un conflit armé de dimensions, d'implications planétaires - au Moyen-Orient, sous le prétexte d'une mise au pas définitive de l'Irak, et de la liquidation du régime national-révolutionnaire de Saddam Hussein hier encore au pouvoir à Bagdad, captivent pour le moment tout l'horizon de l'actualité en cours, mobilisent exclusivement notre attention (à très grand tort d'ailleurs, ainsi qu'on s'en apercevra au cours du bref texte présent, qui est aussi autre chose qu'une simple préface). Tentative d'ingérence des Etats-Unis au Moyen-Orient qui n'est de toutes les façons que la reprise, la répétition, à un niveau autrement supérieur, de leur précédente entreprise d'ingérence directe dans l'ancienne Yougoslavie - en Bosnie, au Kosovo, en Macédoine, en Serbie même - ayant finalement abouti à la mainmise politico-stratégique totale des Etats-Unis sur l'ensemble du Sud-Est du continent européen, avec l'Albanie comme base de contrôle et de manoeuvre arrière.
Le XXème siècle s’est achevé mais nous commençons seulement maintenant à nous en rendre compte. Le XXème siècle a été le siècle des idéologies. Si, au cours des siècles passés, les religions, les dynasties, les couches sociales, les États-nations ont joué un rôle considérable dans la vie des peuples et des sociétés, au XXème siècle la politique s’est déplacée vers le domaine purement idéologique, recouvrant d’une nouvelle façon la carte du monde, des peuples et des civilisations. Les idéologies partiellement politiques incarnaient des tendances anciennes, profondes et civilisationnelles. Elles étaient également, en partie, particulièrement novatrices.
Toutes les idéologies politiques qui ont atteint leur pic de diffusion et d’influence au XXème siècle étaient une création des Temps modernes et incarnaient de façon diverse, voire sous des signes différents, l’esprit moderne. Aujourd’hui, nous quittons précipitamment cette époque. C’est pourquoi on mentionne de plus en plus souvent une « crise des idéologies », voire « la fin des idéologies » (ainsi, la Constitution de la Fédération de Russie nie clairement l’existence d’une idéologie d’État). Il est donc temps d’examiner cette question plus en détails.